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« Les soldats obéissaient à la voix de leur chef ; rien n’obligeait la population de Paris à se dévouer. Les soldats n’affrontaient qu’une mort ; les combattants de juillet en affrontaient deux : les balles premièrement et, en cas de défaite, les supplices. »



CHAPITRE V


LES SAINT-SIMONIENS


Les neuf « enseignements » saint-simoniens à Paris de 1829 à 1832. — Quelques propagandistes. — Les libéraux les assimilent aux jésuites. — Les églises saint-simoniennes en province. — Ce qu’on pensait des saint-simoniens. — Ils exposent leur programme économique et social dans le Globe. — La prédication mystique du Père Enfantin. — La doctrine de l’émancipation de la chair provoque une scission. — La retraite à Ménilmontant : le couvent saint-simonien. — Les saint-simoniens devant le Jury. — La dispersion et l’exode en Orient.


Le 27 août de la même année, c’était le tour des saint-simoniens d’éprouver les rigueurs de la répression. Le matin de ce jour, ils quittaient leur retraite de Ménilmontant et se rendaient en cortège au Palais de Justice, revêtus de l’uniforme bleu de ciel que venait de leur donner Enfantin. Le temps était fort beau. Ils suivirent les rues de Ménilmontant, Saint-Maur, Fontaine-au-Roi, du Temple, Saint-Avoie, Bar-du-Bec, des Coquilles, du Mouton, la place de Grève et le quai aux Fleurs, au milieu d’une foule assez nombreuse, nullement hostile. Dans la rue Saint-Avoie, un homme placé à une fenêtre leur ayant adressé des injures, le plus grand nombre lui imposa silence. L’affluence était telle autour du Palais de Justice que les accusés et leurs amis furent obligés, pour y pénétrer, de passer par la petite rue de la Juiverie.

Ce qu’étaient ces saint-simoniens, sur lesquels couraient mille légendes absurdes qui eussent fait d’eux aux yeux du peuple un objet de curiosité ironique si le pouvoir ne les eût sacrés par la persécution, le lecteur le sait. Viviani a dit la vie du philosophe dont ils se réclamaient, et a examiné les principes dont ses disciples tirèrent une doctrine sociale avec Bazard et religieuse avec Enfantin. Il a enregistré l’organisation de l’enseignement saint-simonien par la presse et par la parole. De notre côté, à mesure que se produisaient les événements, nous avons noté la part qu’y prenaient ces annonciateurs d’un monde nouveau, fondé uniquement sur le travail associé et où seul le mérite personnel donnait place dans la hiérarchie des fonctions utiles.

Nous les avons vus, dans les journées de juillet, proposer leur plan de réorganisation sociale, et, ensuite, répondre aux critiques que Mauguin leur adressait du haut de la tribune parlementaire, refaire selon la doctrine le discours du trône, donner