Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/20

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le reçoit avec empressement. Le colonel Caradec « fait entrevoir au roi que la présence du jeune duc de Bordeaux aux côtés du lieutenant-général était indispensable pour rendre courage à ses partisans et décider la Chambre des pairs à se prononcer… Il insiste pour ramener avec lui le duc de Bordeaux. Le roi fait immédiatement demander madame la duchesse de Berry, la met au courant de la situation et lui déclare qu’il est tout disposé à accepter. La duchesse de Berry fait les plus vives objections, et ajoute qu’elle ne croirait jamais l’enfant en sûreté loin d’elle-même ».

Ici ce n’est plus un légitimiste comme le duc de Valmy, ce n’est plus un ennemi de Louis-Philippe qui parle : le marquis de Flers, qui donne comme références la Correspondance de Donoso Cortez et les Dépêches, correspondances et mémorandums du feld-maréchal duc de Wellington, est un fervent apologiste de la monarchie de juillet, et il prétend faire honneur à Louis-Philippe de la démarche qu’il rapporte.

Cette démarche n’est pas avouée, mais en tout cas singulièrement évoquée par Odilon Barrot, lorsque, dans ses mémoires, il mentionne un propos que lui a tenu la duchesse de Berry lorsqu’il l’accompagnait sur la route de l’exil.

« Que serait-il arrivé, lui demanda-t-elle, si je m’étais rendue à l’Hôtel de Ville et si j’avais placé le duc de Bordeaux sur les genoux du duc d’Orléans

— Madame, répondit-il, il est probable que ni vous, ni moi, ne serions ici. »

Nous avons vu Odilon Barrot délayer et atténuer le tableau tracé par Louis Blanc. Voici le trait qui en ravive la couleur et en relève le ton. Il vient de rendre compte au prince de sa mission : Charles X n’a pas reçu les commissaires et a refusé la sauvegarde qu’ils lui offraient. « Au lieu de discourir selon son habitude », Louis-Philippe dit à Odilon Barrot, après l’avoir regardé :

« Vous avez raison, M. Barrot, il faut faire une démonstration armée sur Rambouillet, — prévenez le général Lafayette et que le rappel soit battu dans tous les quartiers de Paris ; — chaque légion de la garde nationale fournira un contingent de six cents hommes, et vous, messieurs, s’adressant à nous (aux commissaires : Odilon Barrot, de Schonen, de Trévise et Jacqueminot) vous précéderez cette colonne à Rambouillet. Cette fois, peut-être, je serai compris et vous serez accueillis ».

Notez que ceci se passait dans la nuit du 2 au 3 août, et que l’envoi du colonel Caradec à Charles X est du 3. Notez qu’en même temps que l’officier anglais se rendait à Rambouillet, une armée parisienne, conduite par le général Pajol, s’y portait également pour faire déguerpir le monarque déchu et sa famille, y compris l’enfant que Louis-Philippe reconnaissait pour son roi.

Quelques jours après, Charles X s’embarquait avec tous les siens à Cherbourg, après avoir traversé lentement l’indifférence des campagnes et prudemment évité par des détours l’effervescence des centres de population, car le peuple ouvrier des villes était partout soulevé contre les hommes de l’ancien régime. Cette lenteur convenait au roi et à son entourage, non parce qu’il sied aux