Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/215

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mina en rendant solennellement hommage à Saint-Simon, son maitre. On sait que depuis quelques mois il était séparé de l’association. Léon Simon, conseil de Michel Chevalier, s’attacha à faire ressortir ce qui distinguait le saint-simonisme du panthéisme.

Quant à Michel Chevalier, après avoir discuté pied à pied l’accusation, il releva le reproche adressé aux saint-simoniens d’avoir suspendu un néophyte de ses fonctions pour ne s’être pas mêlé au peuple pendant l’insurrection. En réalité, ce néophyte avait reçu la mission d’aller porter aux insurgés « une parole de conciliation et d’apaisement » ; il s’était dérobé à ce devoir et on l’avait écarté pour un temps de la communauté des fidèles.

Lambert s’empara très heureusement d’une phrase maladroite de l’avocat général, qui, parlant des prévenus, avait dit : « Ces hommes sont des hommes de troubles, de destruction, de bouleversement ! Et vous, messieurs les jurés, qui êtes ici les représentants de la société menacée, vous voulez la conservation de cet ordre social qu’ils attaquent si audacieusement ! Oui, que cet ordre soit bon ou mauvais, vous êtes appelés à le soutenir. »

C’était une invite aux jurés qui pouvaient être carlistes ou républicains à s’unir aux partisans du gouvernement pour la répression de ces hommes qui annonçaient un ordre nouveau qui n’était ni la légitimité, ni le juste milieu, ni la république. Lambert y vit, c’était son droit, un aveu des vices de l’ordre social et s’écria : « Un homme qui parle ainsi a déclaré son incompétence politique. »

Duveyrier et Barrault tracèrent ensuite un éloquent tableau de la société, de la famille, du mariage, flétrirent « le règne hideux de l’adultère et de la prostitution ».

Le lendemain, la parole fut donnée au Père Enfantin. Son discours, entrecoupé de longs silences prolongés pendant lesquels il regardait l’un après l’autre les membres de la cour et les jurés, puis contemplait longuement les membres de la famille, impatienta. On ne comprit pas qu’il voulait exercer la puissance magnétique de son regard. Il entreprit de démontrer qu’il réunissait en lui la beauté, la bonté et la sagesse. Et toujours son regard appuyé sur ses juges tentait de leur imposer cette conviction. Avant le prononcé de la sentence, il rappela à la cour que « tout jugement a pour but d’élever et de moraliser le coupable ». C’est ce qu’il avait tenté de faire dans son « jugement » sur l’avocat général.

Les auditeurs avaient attendu des réquisitoires, ils venaient d’entendre des sermons et des conférences. Le jury exprima leur sentiment, lui si bénin aux accusés politiques, et déclara coupables d’association illicite et d’outrage à la morale publique Enfantin et ses coaccusés. En conséquence, la cour condamna Enfantin, Duveyrier et Michel Chevalier à un an de prison, Rodrigues et Barrault à cinquante francs d’amende, et prononça la dissolution de la société

Ce fut le signal de la dispersion. Quelques-uns d’entre eux entreprirent d’aller en Orient chercher la Mère, celle qui devait compléter le couple-prêtre ; ils furent bien accueillis presque partout où ils s’arrêtèrent. À Lyon, où Félicien David donna