Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/220

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méchante de ses coreligionnaires politiques, leur stupidité et leur aveuglement l’avaient aigri plus encore que le peu de succès de ses attaques contre le régime nouveau. Il protestait contre l’éducation donnée à l’enfant-roi par les prêtres de la petite cour de Holy-Rood, qui ne lui apprenaient rien « du siècle où nous vivons ».

Le talent force l’admiration et dépasse les limites des camps politiques. Celui de Chateaubriand et de Berryer était assez grand pour leur valoir le suffrage de leurs adversaires. Chateaubriand n’était pas insensible à ces applaudissements. Quant à Berryer, il avait été bonapartiste aux heures de sa jeunesse et demeurait d’un patriotisme aigu qui le rapprochait plus souvent des libéraux que des légitimistes. Tous deux étaient donc plus appréciés de leurs adversaires que de leurs amis

Les mots de Chateaubriand contre la bêtise de son parti et sur le peu de chances qu’il avait de revenir au pouvoir faisaient sa popularité dans les milieux hostiles à la légitimité. Il se vengeait des déboires dont les ultras l’avaient abreuvé sous la Restauration, en se proclamant le « courtisan du malheur ». Il démoralisait leurs entreprises de revanche en disant croire « moins au retour de Henri V que le plus misérable juste-milieu ou que le plus violent républicain ». Bref il ne parlait pas en homme de parti.

Avec justice, Louis Blanc lui en fait un mérite. Il reconnaît bien que Chateaubriand dans ses ambassades accomplissait surtout de « pieux pèlerinages » aux lieux historiques où naquirent la force, la pensée et la beauté, qu’il montrait trop de « préoccupations littéraires dans l’exercice du pouvoir », qu’il promenait son « indolence un peu hautaine au milieu des intrigues de la cour » et qu’il « envisageait le commandement par son côté poétique ». Mais, ajoute-t-il, « ceux-là seuls agissent fortement sur les peuples, qui portent en eux de quoi s’élever au-dessus des pensées communes ». Et il invoque l’exemple de Napoléon qui lisait Ossian et le méditait. Seulement, Chateaubriand ne fut pas en politique un Napoléon. Il servit sa propre gloire littéraire, et non sa gloire politique ni la cause qu’il avait embrassée.

Bien qu’absolument inoffensif et qu’on ne pût ignorer jusqu’à quel point il réprouvait toute agression violente contre le pouvoir ; Chateaubriand fut cependant arrêté, dès que parvint à Paris la nouvelle du débarquement de la duchesse de Berri en Provence. Il fut retenu quinze jours prisonnier à la préfecture de police, dans l’appartement de Gisquet, puis relâché.

Le vieux roi, qui achevait d’expier dans une vieillesse maussade et bigote les frasques d’une jeunesse frivole et déréglée, approuvait-il l’équipée de sa bru ? Non, certes. Mais le séjour d’Holy-Rood était devenu insupportable à cette princesse avide de mouvement, d’intrigues follement conduites, d’héroïsme retentissant et surtout de liberté personnelle. Elle avait fui la compagnie de Charles X et de la duchesse d’Angoulême, bien plus pour échapper à l’ennui que pour donner une couronne à son fils. Elle colorait ainsi d’amour maternel son amour des aventures.

Une femme qui veut s’émanciper, agir en beauté, trouve toujours des suivants. Ils ne manquèrent pas à Marie-Caroline. À peine eut-elle besoin de stimuler les La Rochejaquelein et les Charette. Dès qu’elle crut s’être assuré des dévouements