Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/259

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affiliés se répandaient partout ; les Kabyles, sédentaires, agriculteurs, laborieux, démocrates, groupés en communes propriétaires du sol, c’est-à-dire presque communistes, peu enclins au fanatisme. Dans les villes, il y avait de tout un peu : surtout des Maures, des Turcs, des Juifs, gens de négoce et d’industrie, et par là même plus portés aux œuvres de la paix qu’aux destructions de la guerre.

Pour exécuter son plan, le maréchal commença par s’emparer de Médéa en prenant pour motif, légitime d’ailleurs, l’attitude du bey de Titerij, Bou-Mezrag, qui avait prêché la guerre sainte contre les roumis. Il le remplaça par un Maure, nommé Mustapha-ben-Omar. Puis profitant de ce que le bey d’Oran, Hassan, en querelle avec les tribus marocaines, était menacé par un fort parti, il lui offrit l’aide des troupes françaises, le secourut d’abord, le déposséda ensuite au profit d’un prince tunisien Kaïr-Eddin, qui ne sut pas d’ailleurs gagner le cœur de ses nouveaux sujets.

Sur ces entrefaites, il fut remplacé, en février 1831, par le général Berthezène. Autre chef, autre plan. Celui-ci veut qu’on s’enferme à Alger et qu’on se borne à la sécurité des environs immédiats de cette ville. Mais le fils de Bou-Mezrag veut reprendre Médéa à l’usurpateur Mustapha, et un fort parti le seconde dans cette entreprise. Force est bien au général Berthezène de sortir de son programme. Les Français ont installé Mustapha comme bey à Médéa ; s’ils le laissent déposséder, c’en est fait de leur prestige. Le général va donc au secours de Mustapha ; mais les partisans de l’ancien bey sont nombreux et ardents ; il est forcé de rentrer à Alger, ramenant son protégé.

Dans-le même temps, Kaïr-Eddin a dû quitter Oran et regagner la Tunisie. Une expédition est aussitôt dirigée sur cette ville révoltée contre un chef étranger, et les troupes françaises exercent une cruelle répression. Son prédécesseur ignorait trop les habitants du pays où il portait ses armes et sa politique. Le général Berthezène croyait trop bien les connaître, et tombait dans d’autres erreurs que celles dont il avait dû subir les conséquences à Médéa et à Oran.

En voici une que signale Lamoricière, alors capitaine de zouaves, dans une lettre datée du « 25 décembre 1831, devant Alger », et adressée au saint-simonien Gustave d’Eichthal. Lamoricière, nous le savons, était également un des plus dévoués partisans de la doctrine :

« Je ne crois, pas dit-il dans cette lettre, que ce qui se passe en Afrique réveille aujourd’hui beaucoup de sympathies en France, aussi je ne vous en parlerai point en détail ; mais il est un fait qui vient de se passer sous mes yeux et qui m’a vivement affecté ; le croyant de quelque importance, je ne veux pas le passer sous silence. Vous savez que je suis dans le 2e bataillon de zouaves ; notre effectif n’étant pas encore complet, nous recrutons parmi les indigènes. Dernièrement, un jeune nègre vint se présenter pour s’engager ; on le reconnut propre au service, et on l’inscrivit. Quinze jours après, un Arabe, qui habite la plaine de la Mitidja, vint se présenter chez le chef de bataillon pour réclamer un esclave nègre qui s’était échappé de chez lui, et qui s’était engagé dans les zouaves, d’après les renseigne-