Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cependant, en 1789, Paris avait dix fois moins de mécaniques et de machines qu’en 1830.

« Si l’on détruisait aujourd’hui ces beaux instruments d’une industrie perfectionnée, avec lesquels la France produit tout ce qui fait votre bien-être et sa splendeur, nous n’aurions plus rien qui plaçât notre pays au-dessus du pays des Napolitains, des Espagnols et des Portugais. Il faudrait qu’à l’imitation de leurs pauvres, de leurs manouvriers, de leurs lazzaronis, vous allassiez sans chaussures et sans coiffure. Vous seriez encore plus malheureux que ces hommes dénués d’industrie, car vous n’auriez pas comme eux un soleil du midi pour vous aider à supporter l’abrutissement et la nudité. »

C’était parfaitement dit. Mais les ouvriers eussent pu répondre à l’économiste qui les haranguait : — Il est certain que, lorsque nous avons du travail, nous sommes moins malheureux qu’au temps jadis ; mais il est non moins certain que, lorsque la crise éclate, nous sommes d’autant plus malheureux que nous manquons subitement de ce bien-être, d’ailleurs trop vanté par vous, auquel nous étions habitués.

Ch. Dupin avait terminé sa harangue en affirmant aux réclamants qu’ils trouveraient une administration « amie de l’ouvrier », prête à satisfaire à ses « justes réclamations ». Ils trouvaient, huit jours après, l’impitoyable arrêté de Girod (de l’Ain). Leurs réclamations n’avaient pas été jugées conformes, à la doctrine économique ni à l’intérêt de la classe au pouvoir.

Une réponse, cependant, parvint au savant professeur du Conservatoire. Victor Hugo nous affirme, dans son Journal d’un révolutionnaire de 1830, que Dupin reçut le billet anonyme suivant : « Monsieur le sauveur, vous vous f… sur le pied de vexer les mendiants ! Pas tant de bagou, ou tu sauteras le pas ! J’en ai tordu de plus malins que toi ! Au revoir, porte-toi bien en attendant que je te tue. »

Ce billet est trop « littéraire », je veux dire trop apprêté, pas assez spontané, pour émaner d’un des ouvriers qui allaient par les rues demandant du travail ou du pain. Un mendiant même, um malheureus tombé de l’état d’ouvrier à celui d’indigent pourrait avoir de tels sentiments, mais il ne les exprimerait pas de la sorte.

J’ai dit que l’administration n’avait presque rien fait pour les ouvriers en détresse. Elle fit pis que de ne rien faire.

D’abord elle licencia les ouvriers que la commission municipale siégeant à l’Hôtel de Ville avait incorporés à la garde nationale mobile et auxquels, depuis le 31 juillet, il était alloué une solde de trente sous par jour. Devant les manifestations de la faim, le Globe du 17 août proposa, mais vaguement, la réincorporation des ouvriers à la garde nationale : « C’est un droit pour eux et un devoir d’y entrer », disait le journal libéral. Et il concluait en demandant « que la Ville fît un sacrifice d’argent pour faciliter l’équipement de tous les citoyens qui justifieraient de l’impossibilité où ils sont de se procurer en totalité ou en partie cet équipe-