Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/278

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de tirer sur un homme qui essayait de construire une barricade. En déshabillant le blessé, on trouva sur lui une carte d’agent de police.

Mais la foule, chargée à la baïonnette, se met d’elle-même à construire les barricades voulues par les chefs de la bourgeoisie. Sur six points de la ville, sans contact entre eux, la résistance s’organise, plus résolue que formidable. La troupe fait sauter deux maisons dans lesquelles les insurgés se sont réfugiés comme dans des citadelles. Le canon est amené contre les barricades.

La Croix-Rousse est une forteresse, et la Guillotière un camp. L’armée bombarde, fait sauter, brûle les maisons d’où les insurgés tirent sur elle pendant toute la journée du 10. Insurgés et soldats se poursuivent et se battent jusque sur les toits. L’église des Cordeliers, au centre de la ville, est un arsenal où se fabrique la poudre et se fondent les balles, tandis que la sacristie et une chapelle servent d’ambulance.

Où sont les comités pour diriger cette poignée d’hommes qui tient une armée en échec ? Ils sont dispersés parmi les combattants. Aucune direction. Les chefs ne commandent que le point où ils combattent eux-mêmes, et sont coupés de toute communication entre eux. De centre d’action, point.

La victoire, une facile victoire est donc assurée à l’ordre. Mais le préfet veut une grande bataille, une grande victoire, une répression totale. Le 11, il ordonne au général Aymar d’évacuer la ville, comme on fit en 1831. L’évidence des faits le contraint néanmoins à révoquer cet ordre. Le général Aymar, qui n’entend rien aux finesses scélérates de la grande politique et ne connaît que son métier de soldat, n’a pas de peine à prouver que la victoire n’est qu’une question d’heures et peut être obtenue sans lui coûter beaucoup de monde.

De fait, le lendemain, prenant une vigoureuse offensive, il emporte la Guillotière, éteint sans trop de peine le feu de deux canons pris au fort Sainte-Irénée et que les insurgés chargent avec de la ferraille et des clous, escalade la Croix-Rousse et y brise toute résistance, enfin prend d’assaut l’église des Cordeliers dont les défenseurs sont massacrés. Dans le faubourg de Vaise, où se joue le dernier acte de la tragédie, la résistance est à peu près nulle ; la répression y est féroce. Pour un coup de feu tiré d’une maison, les seize habitants de cette maison sont passés par les armes : un jeune homme au chevet de son frère mourant, un vieillard, un père arraché aux bras de son enfant de cinq ans, sont tués sans pitié. Lorsque des gens sans défense, des non-combattants, sont massacrés impitoyablement, on reconnaît à ce signe affreux que l’ordre est rétabli.

À l’insurrection de Lyon répondit aussitôt celle de Paris. Voici le piège que lui tendit Thiers pour la forcer à sortir, à se montrer, à lui donner prise. À la Chambre, dans la séance du 12, il venait annoncer que le général Aymar occupait à Lyon une position inexpugnable, ce qui était le représenter comme se tenant sur la défensive en face d’une insurrection générale et puissamment armée. Les républicains donnèrent dans le piège et, le 13, alors que toute résistance avait cessé à Lyon, ils coururent aux armes et s’enfermèrent dans le dédale des rues propres à ces mouve-