Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/280

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trante, contre la prétention même des vainqueurs à s’ériger en juges, contre le « ramassis d’hérésies constitutionnelles », contre les « âneries de Bridoison, conseiller de la cour étoilée », qui formaient le rapport de Portalis concluant au renvoi des accusés devant la Cour des pairs. Ces protestations firent condamner, par la Cour, juge et partie, le National à dix mille francs d’amende et son gérant, Rouen, à deux ans de prison.

La Fayette disparut précisément dans le désastre du parti républicain, le 20 mai. Ses obsèques, calmes ou plutôt mornes, semblèrent mener le deuil du parti dont il était le chef nominal, et qui, on le croyait bien en haut lieu, allait être enterré pour jamais. Comment la bourgeoisie censitaire ne se fût-elle pas promis un avenir désormais tranquille et les profits d’un pouvoir dégagé de toute appréhension ? Les élections du 21 juin furent, dans la victoire de l’ordre, un triomphe pour le gouvernement.

Il y avait bien des discussions dans le ministère ; mais cela ne touchait pas à l’ordre fondamental. Ces querelles avaient pour objet le régime de l’Algérie. Soult, qui, le 4 avril, avait remplacé le duc de Broglie, mis en minorité à la Chambre par une intrigue des députés familiers des Tuileries, voulait y continuer le système du gouvernement militaire. Le trouvant trop docile aux volontés du roi, Thiers se prononça contre sa thèse, envenima le conflit et contraignit le maréchal à se retirer du cabinet ; et le 18 juillet, le maréchal Gérard prenait sa place comme président du conseil et ministre de la guerre. L’Algérie était si bien un prétexte que ce fut encore un soldat, Drouet d’Erlon, qui y fut envoyé comme gouverneur général. Soult était débarqué, c’était l’essentiel.

Le maréchal Gérard croyait à l’irrémédiable défaite du parti républicain ; il était d’autre part désireux d’effacer la tache imprimée à l’armée par les massacres de Vaise et de Transnonain. Il proposa donc à ses collègues, dès son entrée dans le ministère, une amnistie pour tous les faits se rapportant aux insurrections de Lyon et de Paris. Thiers s’y opposa de toutes ses forces et n’eut pas de peine à gagner le roi à sa politique de répression implacable, condition nécessaire de sécurité pour le régime. Gérard, lassé, donna sa démission.

Ici se joue une comédie, dont Thiers et Guizot, alors d’accord, sont les metteurs en scène. Pour mieux mater le roi, qui s’entête dans son entreprise de gouvernement personnel, Thiers organise autour de lui une grève de ministrables, surtout de présidents du conseil éventuels offrant une certaine surface. Livré à ses propres conseils, Louis-Philippe, dont la suffisance était le moindre défaut, un défaut qui écrasait souvent ses très réelles qualités d’homme de gouvernement, chargea Maret, duc de Bassano, de former un cabinet. Il tenait à avoir pour président du Conseil un militaire : sa marotte était d’avoir des présidents du Conseil maniables, il ne pouvait mieux faire que de prendre des généraux et des maréchaux, parfois experts dans l’intrigue, mais nullement au fait de la politique. Maret était, entre tous, le plus maniable. M. Thureau-Dangin reconnaît qu’il était « connu surtout pour avoir été le plus docile instrument du système impérial ». To-