Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/290

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N’importe. Il était président du Conseil, et sans trop de peine avait pu constituer un ministère. Mais il avait dû ne pas se montrer trop exigeant sur la qualité de ses collaborateurs. C’est ainsi qu’il donnait les sceaux à Sauzet, dont il avait dit quelques mois auparavant, lorsqu’il avait été question de lui confier le même poste dans un ministère Dupin : « M. Sauzet garde des sceaux, quelle délicieuse bouffonnerie ! » Mais Thiers en était-il à une pasquinade près !

Les procédés de compression et de police par lesquels Thiers gouvernait devaient-ils assurer au moins la sécurité personnelle du roi ? Il faut bien croire que non, puisque, le 25 juin, un nouvel attentat était commis sur Louis-Philippe. Au moment où il sortait des Tuileries, un jeune homme armé d’une canne-fusil avait tiré sur lui, et l’avait manqué. Ce jeune homme se nommait Alibaud, avait fait de bonnes études au collège de Narbonne, s’était engagé à dix-huit ans au 15e de ligne, avait été blessé dans le combat des journées de Juillet et réformé en 1834. On essaya de lui découvrir des complices, des inspirateurs. « Le chef de la conspiration, dit-il, c’est ma tête, les complices, ce sont mes bras. » Il monta bravement sur l’échafaud en s’écriant : « Je meurs pour la liberté, pour le bien de l’humanité, pour l’extinction de l’infâme monarchie ».

À quelques jours de là, Armand Carrel, le maître polémiste du parti républicain se battait en duel avec Emile de Girardin, qui le blessait mortellement, le 22 juillet. Comparer les deux adversaires, dire le motif de la querelle qui leur mit le pistolet à la main, c’est donner un exemple saisissant de l’absurdité scélérate d’une coutume que le ridicule lui-même n’a pas encore abolie chez nous.

Armand Carrel était le type de la droiture fière et cassante, mettant un souci de probité personnelle à conformer ses actes à sa doctrine. Ceux qui ne l’aimaient pas étaient forcés de l’estimer. En était-il de même de Girardin ? Expéditionnaire de la maison du roi en 1823, il devient commis d’agent de change et s’initie aux affaires. En même temps, il publie deux romans qui sont des autobiographies. C’est alors qu’il prend le nom de Girardin, qui était celui de son père naturel.

Nommé en 1828 inspecteur des Beaux-Arts par Martignac, il fonde le Voleur, un recueil où il reproduit des contes, des nouvelles, des articles pittoresques, puis la Mode, que patronne la duchesse de Berri. On le voit, il envisage le journalisme au point de vue commercial. C’est le moment où Carrel fonde le National, non pour gagner de l’argent, mais pour défendre les idées libérales.

La révolution de 1830 ne fit aucun tort au protégé de Martignac et de la duchesse de Berri. Puisque de nouvelles couches sociales naissaient à la vie publique, il fallait exploiter cette clientèle. Il proposa à Casimir Perier, qui eut tort de refuser, d’abaisser à un sou le prix du Moniteur. Il fonda alors, en 1831, le Journal des Connaissances utiles, qui en peu de temps compta cent trente mille abonnés à quatre francs par an. Vinrent ensuite, car cet homme d’affaires était d’une activité prodigieuse, le Journal des instituteurs primaires, à un franc cinquante par an, et le Musée des familles, fondé pour faire concurrence au Magasin Pitto-.