Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lées à écrire des pamphlets contre la société bourgeoise moderne. »

À présent, une chose paraît certaine, c’est que si les presses des journaux carlistes furent épargnées, c’est qu’apparemment ces journaux, en bons conservateurs qu’ils étaient, avaient repoussé avec horreur l’emploi de ces diaboliques engins de progrès qu’on appelle des presses mécaniques.

Ces agitations ne pouvaient que faciliter la formation du pouvoir nouveau et lui donner de l’équilibre. Pour fonder « la monarchie entourée d’institutions républicaines » dont il s’était proclamé le représentant dans la comédie qu’il alla jouer à l’Hôtel de Ville, Louis-Philippe transforma, le 11 août, en ministère régulier la commission provisoire qui s’était installée à l’hôtel Laffitte. Quant à la commission municipale, composée des combattants et de leurs chefs, l’adhésion de Lafayette à la nouvelle monarchie l’avait désemparée en lui ôtant toute raison d’être ; sans même qu’elle fût consultée, deux ou trois de ses membres prononcèrent sa dissolution, et elle disparut sans bruit.

Désireux d’exercer une action personnelle sur ses ministres, le roi n’avait pas nommé de président du conseil. Deux éléments se partageaient le cabinet, et Louis-Philippe voyait dans cette division le moyen d’assurer son pouvoir, dont il se montra toujours jaloux à l’extrême, même dans les plus minces détails, comme on le verra dans la suite de cette histoire.

Dans le ministère, Dupont (de l’Eure) et Laffitte représentaient plus particulièrement les libéraux, ceux pour qui la Révolution signifiait un changement de régime, une mise en marche vers le progrès politique. C’étaient, avec des nuances qui les différenciaient assez fortement et une égale crainte de déchaîner la démocratie, les hommes du mouvement. Le groupe des hommes de la résistance au mouvement, des doctrinaires, était plus particulièrement représenté par Guizot, Dupin, le duc de Broglie et Casimir Périer. Ceux-ci étaient en majorité dans le ministère ; mais, d’une part, la popularité de Dupont (de l’Eure) et de Laffitte et, d’autre part ; la présence d’Odilon Barrot à la préfecture de la Seine et de Lafayette au commandement général des gardes nationales du royaume assuraient la prééminence aux hommes du mouvement.

Ces hommes du mouvement épuisèrent leur énergie à inscrire dans la charte l’abolition de l’hérédité de la pairie, à se quereller dans les séances du conseil avec Louis-Philippe, à laisser faire l’agitation dans la rue et à la laisser réprimer par leurs collègues de la résistance, dont l’adhésion au nouvel état de choses était faite surtout de résignation.

Le calme plat ne succède jamais immédiatement à la tempête. Cette vérité est plus constante encore pour les mouvements humains que pour ceux de la nature. Et puis, les démocrates et les libéraux réels ne pouvaient tous se faire à l’idée qu’il n’y avait rien de changé, que le monarque et la couleur de sa cocarde.

Dans le combat auquel les avait acculés la folle provocation des ministres de Charles X, ils avaient pris une audace morale née de leur courage militaire. La victoire avait redressé leur échine, et s’ils avaient de nouveau placé un homme