Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/308

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À cette note, le gouvernement répliqua le 27 septembre en rappelant son ambassadeur et en rompant tous rapports avec la Suisse. Le 29, il lui adressait un ultimatum précurseur des hostilités. Une diète extraordinaire fut assemblée et elle capitula jusqu’au bout en renvoyant au gouvernement français tout le dossier de l’affaire Conseil. Pour une fois, le gouvernement de Louis-Philippe, venait de manquer à son principe de la non-intervention, et ç’avait été pour violenter un petit peuple et donner satisfaction à la Cour de Vienne.

Une autre affaire vint bientôt détourner l’attention des esprits, et qui sembla inspirée par le succès de la révolte militaire qui avait éclaté à Madrid. Qu’était donc ce Louis Bonaparte, fils du roi Louis de Hollande, qui, le 30 octobre, tentait de soulever la garnison de Strasbourg avec le plan arrêté de se diriger sur Paris en débauchant les garnisons sur son chemin ? Qu’était ce Napoléon qui essayait son retour de l’île d’Elbe sans avoir passé par Austerlitz et Wagram ? N’était-ce point une folie, pis ! une bêtise, que cette aventure risquée par un jeune étranger complètement inconnu des Français ?

Non, puisqu’il avait son nom pour lui, et que pour lui son oncle avait inscrit Wagram et Austerlitz sur son drapeau. Non, puisque la légende vivait grandie à mesure que le temps l’éloignait de la réalité ; puisque les mères, ayant enfanté d’autres fils, ne pleuraient plus ceux que leur avait pris Napoléon ; puisque le grief des opposants contre Louis-Philippe était sa politique de paix à tout prix ; puisque les républicains, oubliant la servitude de l’époque impériale, voyaient dans le nouveau roi un Bourbon épris de sa quasi-légitimité, ami des rois qui avaient envahi et amoindri la France, défendue à Montmirail et à Waterloo par Napoléon.

On n’était plus, certes, au moment où Salvandy pouvait dire, parlant des républicains : « Ce parti qu’on appelle tantôt bonapartiste et tantôt républicain ». Les mouvements de 1832 et de 1834 avaient bien été l’œuvre exclusive d’une démocratie révolutionnaire délivrée de tout contact avec les éléments bonapartistes. Mais le peuple et la petite bourgeoisie n’étaient pas républicains. Pour eux, être libéral signifiait être patriote. Et comment séparer la patrie du nom de celui qui avait, le dernier, porté les armes pour elle, et contre qui s’était formée la Sainte-Alliance absolutiste, ménagée à présent par Louis-Philippe ? « Mille canons dorment dans ce nom aussi bien que dans la colonne Vendôme » dit Henri Heine frappé d’avoir vu un mendiant lui demander un sou non pas « au nom de Dieu », mais « au nom de Napoléon ». Il a vu, au théâtre, le peuple crier, pleurer et s’enflammer aux mots : « aigle français, soleil d’Austerlitz, Iéna, les Pyramides, la grande armée, l’honneur, la vieille garde. Napoléon ».

Il sait qu’ « il n’est pas de grisette à Paris qui ne chante et ne comprenne les chansons de Béranger », ces chansons où les nobles, ennemis du peuple, sont en même temps les amis de l’étranger, et où patrie est synonyme de liberté. Il constate que « le peuple sait le mieux du monde cette poésie bonapartiste » et note que « c’est là-dessus que spéculent les poètes, les petits et les grands, qui exploitent la foule au profit de leur popularité ». Il voit « Victor Hugo, dont la lyre résonne