Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/317

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payés de leurs mains. Mais ne sont-ce point là mœurs de conquérants, et faisons-nous autre chose, en ce moment encore, en Indo-Chine et à Madagascar ?

D’ailleurs, l’échec devant Constantine, qui avait fait rappeler Clauzel, remplacé par le général Damrémont, ne doit pas faire oublier que celui-là avait fait de son mieux, avec les faibles moyens dont il disposait. Bugeaud était alors, ou peu s’en fallait, l’unique champion à la Chambre de la conquête algérienne. Or les deux années pendant lesquelles le général Clauzel avait été replacé à la tête des troupes d’Algérie avaient vu s’élargir un peu le cercle étroit où elles étaient enfermées jusque là. Les combats de Mostaganem, une expédition dans la plaine de la Mitidja, l’occupation de Rachgoun, une expédition sur Mascara, la capitale d’Abd-el-Kader, avaient marqué l’année 1835.

Car la paix avait été de courte durée avec celui en qui s’incarnaient les espoirs de revanche du monde musulman. Les traités de paix, et nous savons que celui qui fut conclu avec Abd-el-Kader était plutôt une trêve tacite, contiennent toujours des articles prêtant à double interprétation que les parties s’accordent à y inscrire dans l’espoir d’en tirer prétexte à un recours aux armes.

En 1836 avaient eu lieu la première occupation de Tlemcen, une expédition dans la province de Titery, le combat de la Sikkah, l’occupation de la Calle, enfin la malencontreuse expédition de Constantine, à la suite de laquelle Clauzel avait été remplacé par Damrémont, que Bugeaud accompagna. Celui-ci fut fort utile au nouveau gouverneur, qui, sur ses conseils, négocia la paix avec Abd-el-Kader afin de pouvoir porter tout son effort sur Constantine et réduire le pays kabyle. Car tels étaient l’ascendant et l’activité du jeune chef arabe, pourtant chassé de sa capitale et vaincu en plusieurs rencontres, que l’on avait encore avantage à traiter avec lui, dans l’impossibilité où l’on était de le réduire absolument ou de le chasser de l’Algérie.

Le général Damrémont avait chargé le général Bugeaud d’obtenir, pour quelque temps et au meilleur compte, la liberté de ses mouvements au sud-est. Bugeaud s’acquitta au mieux de sa mission, et le traité de la Tafna fut conclu avec Abd-el-Kader. Se conformant royalement aux usages diplomatiques, l’émir avait offert à Bugeaud un cadeau en espèces : cent quatre-vingt mille francs. Cela fit scandale en France, mais Bugeaud présenta adroitement sa défense en se couvrant du comte Molé. Consulté par le général, celui-ci l’avait en effet autorisé à accepter ce « cadeau de chancellerie. » Mais les ministres furent moins coulants que leur chef, et en conseil ils refusèrent de ratifier la clause secrète du traité de la Tafna relative au « cadeau de chancellerie ». Forcé d’en faire son deuil, Bugeaud déclara qu’il l’eût réparti entre les officiers de son entourage et employé à la construction de routes en Algérie.

Libre désormais d’agir, le général Damrémont préparait tout pour réduire enfin Constantine et, le 12 octobre 1837, il l’emportait d’assaut, échangeant sa vie contre cette victoire si longtemps convoitée. Le général Valée, son lieutenant, fut fait maréchal de France et lui succéda en qualité de gouverneur général.