Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/324

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ses repas, dans les groupes où l’attirent ses goûts naturels, une éducation morale et industrielle, une culture générale qui se continuera à chacun des instants de sa vie.

Pour réaliser ce rêve d’émancipation complète de l’individu, librement associé à ses semblables, que faut-il ? Réunir environ quinze ou dix-huit cents individus des deux sexes et de tout âge dans un domaine agricole et les inviter à se grouper par séries affectives, pour organiser la production et la consommation. Fourier a calculé que parmi ces quinze à dix-huit cents personnes se trouve la gamme complète des accords et des désaccords passionnels. Car les oppositions elles-mêmes ont leur utilité, dans l’association domestique et agricole ; elles se traduisent en émulation productive, au lieu de s’exprimer en concurrence destructive comme dans l’ordre civilisé.

Un phalanstère domestique, agricole et industriel, plus agricole qu’industriel, voilà le noyau social que veut créer Fourier. Sur cent femmes, combien sont aptes à faire le ménage, cuire les aliments, « ressarcir » les vestes et les culottes ? « Toute fille à marier, fait-il, vous dira qu’elle n’aime que le papa et la maman, le bon Dieu et la Sainte Vierge, le pot et l’écumoire. » Elle ment, parce qu’on l’a dressée « à manifester un penchant de ménagère » qu’elle ne ressent pas. « De là vient que les deux tiers des maris sont attrapés en mariage. »

À ces « ménages morcelés », qui sont contre la vocation naturelle, le phalanstère substitue le « ménage combiné « Sont ménagères, nettoient, cuisinent, raccommodent, celles qui se sentent du goût pour cela. El, comme elles font ces tâches ensemble, stimulées les unes par les autres, aiguillonnées par l’amour-propre et par les récompenses, dix ménagères suffisent aux besoins domestiques de trois ou quatre cents personnes, au lieu de soixante ou quatre-vingt comme aujourd’hui dans les ménages morcelés.

Voilà donc, rendu au loisir, ou plutôt au travail productif exercé en groupe et devenu un plaisir, un fort contingent féminin. Pour les fonctions de travail qui, par l’association, quadrupleront le produit, nulle autre règle que la vocation individuelle. Et comme l’individu s’enferme rarement dans une aptitude unique et que, d’autre part, le travail monotone est un objet de dégoût et de découragement, les séances de travail seront de deux heures, chaque individu passant d’une séance de jardinage à une séance de travail industriel ou de grande culture. Il se passionnera dans ces séances de travail, devenues des réunions de plaisir avec ceux qui ont les mêmes goûts que lui et sont ses rivaux en même temps que ses associés.

L’homme est avide de biens matériels, de distinctions ? Faut-il refouler ces sentiments et le plier avec ses semblables sous le niveau d’égalité. Qu’on s’en garde bien ! Plus ces sentiments et ces désirs seront intenses, selon Fourier, et plus ils porteront les hommes à produire pour le plus grand bien de l’ensemble. Aussi, bien loin de supprimer l’héritage, proclame-t-il la liberté de tester, et même pour le père de famille de déshériter ses enfants.

Puisqu’il y a des gens qui aiment les honneurs, qu’on leur en prodigue, qu’on