Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

par ses prospectus, à celui qui doit apporter le levier matériel de la transformation sociale. Comment douterait-il, lui qui s’écrie : « Avant que l’expérience ait prononcé, avant même que ma Théorie soit publiée, j’aurais peut-être plus de prosélytes à modérer que de sceptiques à convaincre ! »

Il « apporte plus de sciences nouvelles qu’on ne trouva de mines d’or en découvrant l’Amérique », et il aime à se comparer à Christophe Colomb : « Il annonçait le nouveau monde matériel, dit-il, et moi le nouveau monde moral ». Lamartine l’a accusé de se poser en Messie, il répond avec une orgueilleuse modestie : « Jean-Baptiste a été le prophète précurseur de Jésus, j’en suis le prophète postcurseur, annoncé par lui ». Car la religion est mise aussi dans son jeu, ou plutôt le sentiment religieux. 11 essaie de prouver que « l’Écriture, dans certains passages mystérieux, avait besoin d’un interprète guidé par des connaissances nouvelles ». Le miracle de Cana et celui de la multiplication des pains et des poissons ne sont rien moins que l’annonce des découvertes de Fourier.

Considérant nous dit que « Fourier, comme la plupart des gens de sa génération, avait fort peu lu les Évangiles. » Il est certain qu’il les a lus rapidement et avec le désir d’y trouver de quoi attirer à lui les croyants. Son chapitre du Nouveau monde industriel, intitulé « Confirmations tirées des Saintes Écritures », a été écrit dans le seul but « de se conformer aux usages de la Restauration qui exigeaient, disait-il, un petit tribut au christianisme, comme ceux de 1808 (date de son premier ouvrage) requéraient dans toute publication un grain d’encens pour l’Empereur. »

Fourier ne se grandit donc que pour grandir sa théorie. Il n’y a pas en lui enflure maladive de la personnalité, mais bien plutôt possession de la personnalité tout entière par l’idée maîtresse, à laquelle tout est ramené, subordonné. Et aussi désir passionné de convaincre, d’entraîner. « Livrez-vous à l’allégresse, crie-t-il à ses lecteurs, puisqu’une invention fortunée vous apporte enfin la boussole sociale. Comment ne serait-on pas ébloui de ce qui le met lui-même dans une aussi forte extase ! Il n’ose révéler d’un seul coup à ses lecteurs les merveilles du monde futur ; non qu’il craigne l’incrédulité, mais il les ménage et ne veut pas leur donner une joie trop vive : ils ne seraient pas capables de la supporter.

À ce trait, on discerne que Fourier est un prophète encore plus avisé qu’orgueilleux. Son extase même devant les trésors qu’il découvre est un moyen d’appeler fortement l’attention. Qu’est-il en face d’eux ? Moins que rien, un homme presque illettré. » (sic). Dieu a voulu confondre l’orgueil des savants de profession en révélant son secret « au plus obscur des hommes », à un a sergent de boutique ». « La nature dans cette faveur, dit-il, se montre judicieuse et fidèle à son système de partager ses dons. Si ma découverte fût échue à quelque grand personnage de la hiérarchie savante, à un Leibnitz.un Voltaire, qui aurait su la parer du charme oratoire, c’eût été pour lui trop de lustre : il aurait tout éclipsé. »

Admirons comme ici Fourier encadre sa propre personne dans le plan de la nature tel qu’il le conçoit. Nul être inutile ou inférieur n’a été créé par elle. Chaque