Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/334

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Fourier, surtout, a montré que, dans une société organisée sur des rapports d’échange et non plus sur des rapports féodaux, les problèmes politiques sont subordonnés aux problèmes économiques. Qu’est-ce que la liberté pour un homme qui n’a pas de pain ? Ne dépend-il pas étroitement de celui qui lui donnera du travail ? Si vous voulez le faire libre commencez par le libérer de sa servitude économique. Les révolutions et les chartes ne sont que des trompe-la-faim. Seule l’association, donnant à tous part aux produits du sol et du travail, pourra faire ce que promettent les « charlatans » de la philosophie et de la politique. Ce réalisme économique et social deviendra le matérialisme historique sous la plume de Marx et Engels. On voit à présent tout ce que le socialisme moderne doit à Fourier.

Il nous a bien parlé de la bonne raclée qu’il faut administrer à l’accapareur. Mais il ne croit pas nécessaire d’en venir à ce moyen extrême. Il suffit aux producteurs de s’entendre, de s’associer, de se passer des intermédiaires. Trois éléments concourent à la production : le capital, le talent et le travail. Fourier les fait participer au profit. Puisque, par l’association, le pauvre peut devenir riche et le riche s’enrichir davantage, pourquoi celui-ci bouderait-il au système ? L’inventeur attend donc avec confiance le capitaliste intelligent qui lui permettra de réaliser un premier essai, dont l’exemple sera si concluant que bientôt le globe entier se couvrira de phalanstères.

En attendant qu’apparaisse le capitaliste espéré, des disciples sont venus à Fourier. Il n’en a d’abord que deux : Just Muiron, son compatriote, et Rubal, son neveu. Puis viennent d’autres adhérents, tous petits bourgeois de Franche-Comté, séduits par ses livres : Victor Considérant, alors âgé de dix-sept ans, Clarisse Vigoureux, Gabet, Gréa, Godin, un juge de paix. En 1829, Muiron fonde à Besançon l’Impartial, dont il offre à Proudhon, alors correcteur d’imprimerie, le poste de rédacteur en chef. Proudhon refuse. Un peu plus tard, la crise saint-simonienne lui amène quelques-uns des dissidents : Jules Lechevallier, Transon, puis Pecqueur.

Un groupe de propagande est désormais formé autour de Fourier. On commence à parler de ses livres. Le Traité d’Association domestique agricole avait eu peu de lecteurs, mais la critique s’en était occupée, et le Nouveau Monde industriel, publié en 1829, suscita des polémiques assez nombreuses, dont toutes ne furent pas hostiles ou railleuses. Les disciples organisèrent des conférences, mais elles eurent peu de succès. Toute l’attention était portée alors sur les saint-simoniens. Il faut le dire : sauf Considérant, alors tout jeune et qui ne devait prendre son envergure que quelques années plus tard, l’entourage de Fourier était plutôt médiocre. Nul de ses disciples n’avait embrassé sa théorie dans toute son étendue. Les uns en retenaient surtout les extravagances, les autres la théorie de l’attraction, les autres n’y voyaient qu’une formule d’association agricole et industrielle.

En 1832, Fourier et ses disciples fondent un journal hebdomadaire, le Phalanstère, qui s’intitule quelques mois après la Réforme industrielle ou le Phalanstère,