Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/353

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Le roi et sa famille avaient donné le ton. Le temps était loin où Louis-Philippe s’abstenait de prononcer le nom de Dieu dans ses propos publics. En 1837, on avait replacé les crucifix dans les tribunaux. On voyait à présent des évêques aux Tuileries et, leur rendant cette politesse, la reine et ses filles allaient parfois à la messe dans les églises paroissiales, bien qu’il y eût une chapelle aux Tuileries. Le budget des cultes, ou plutôt du culte, était augmenté d’année en année. En 1830, au moment de la révolution, il approchait de trente-six millions ; on l’avait ramené à trente-deux millions et demi en 1832, il devait avant 1840 se rapprocher du chiffre fixé par les ministres et les Chambres de Charles X.

Aussi le pape disait-il, en 1837, à Montalembert : « Je suis très content de Louis-Philippe, je voudrais que tous les rois de l’Europe lui ressemblassent ». À cette époque dans un mémoire confidentiel, le provincial de Paris, le père Guidée, essayait de prouver au roi, qui ne demandait qu’à être convaincu, que l’ordre des jésuites servait de son mieux la monarchie de Juillet, et qu’il la servirait encore plus efficacement si on lui rendait le pouvoir d’agir au grand jour comme aux beaux temps de la Restauration.

Ce refleurissement des vertus chrétiennes, ou plutôt de leurs pratiques, n’empêchait point une société fondée sur le profit de donner ses fruits naturels, la corruption et la concussion, et un journal, le Messager, pouvait accuser Gisquet, l’ancien commis de Casimir Périer, d’avoir trafiqué de sa situation alors qu’il était préfet de police. On se rappelle que le personnage n’avait pas attendu d’être pourvu d’une situation officielle par son patron pour faire sa main dans les affaires publiques, et l’on n’a pas oublié sa fructueuse opération sur l’achat des fusils anglais pour le compte du gouvernement. Cette fois, il était formellement accusé de concussion et de prévarication.

Fort de sa situation et des appuis qu’elle devait lui valoir, Gisquet poursuivit le Messager devant la cour d’assises. Là, des témoins prouvèrent que la maîtresse de l’ancien préfet de police et la mère de cette aimable personne avaient trafiqué de leur influence auprès de lui sur une large échelle, et le ministère public lui-même dut conclure à l’acquittement du journal accusateur, qui s’en tira avec cent francs d’amende. Le jury, niant l’évidence, avait opté pour la culpabilité, en haine de la presse indépendante.

Ayant mal réussi, elle, à jouer de la vertu pour abattre le ministère sur la question des fonds secrets, la coalition ne démonta pas ses batteries pour un si mince échec. Elle allait bon train, rendant au comte Molé le gouvernement impossible, lui recrutant chaque jour un nouvel adversaire. Celui-ci se défendait de son mieux, parfois avec énergie et selon ses moyens. C’est ainsi que le procureur-général Persil, étant entré dans la coalition, fut destitué tout net.

Lamartine, sollicité, refusa de se prononcer pour elle, alléguant, ce qui était vrai, qu’elle ne représentait aucun progrès politique ou social et n’était qu’une ligue d’intérêts formée pour la conquête du pouvoir. Pour les mêmes raisons, Royer-Collard, doctrinaire implacable, refusait de se laisser séduire par la formule