Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/368

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leur incurie produisait une de ces hécatombes ouvrières qui aggravent de misère noire le deuil des survivants : Il « prescrit aux maires de se faire représenter les cadavres des victimes d’accidents ».

Pourquoi donc, en France, avait-on tant tardé à protéger la tendre chair à travail des enfants ? L’Angleterre avait, en 1833, amélioré sa loi de 1802. L’Autriche et la Prusse limitaient, elles aussi, le travail enfantin. Le travail était-il moins pénible ici que là, ou les cœurs plus durs et plus fermés ? Nous avons dit la misère des petits ouvriers anglais aux environs de 1830, et montré que celle de leurs camarades français ne leur cédait guère.

Le mouvement de pitié des industriels alsaciens n’avait pas eu d’écho. C’était cependant le temps où, dans le Parlement anglais, lord Ashley proposait de réduire à dix heures la durée du travail des femmes et des enfants. Robert Peel combattit cette motion en invoquant la concurrence étrangère. Un membre des Communes, alors, engagea le ministre à entamer des négociations avec les gouvernements européens pour établir une limitation uniforme du travail dans tous les pays. Il fut répondu à ce novateur en avance de trois quarts de siècle que « la diplomatie n’avait pas coutume de traiter de pareilles questions, qu’une semblable négociation ne produirait aucun résultat ».

La bourgeoisie française n’avait pas de telles audaces. Néanmoins, les enquêtes de Villermé, de Blanqui aîné, d’Eugène Buret avaient secoué l’opinion, dénoncé le massacre d’innocents auquel se livrait le patronat. Ils avaient dit le surmenage effroyable, la « torture » qu’on infligeait à des enfants de six à huit ans, forcés de rester « seize à dix-sept heures debout chaque jour, dont treize au moins sans changer de place ni d’attitude ».

Ils avaient crié, et il avait bien fallu les entendre, et avoir honte, qu’à Reims « les coups et les mauvais traitements » étaient « chose habituelle et permanente ». J’ai dit, dans la première partie, n’avoir rien trouvé dans les enquêtes françaises qui approche le martyre des petits ouvriers anglais. Il faut me rétracter, car voici qui fait identique le martyrologe enfantin des deux pays.

L’Industriel de la Champagne du 2 octobre 1835, cité par Villermé, dénonce des établissements de la Normandie « où le nerf de bœuf figure sur le métier au nombre des instruments de travail ». Dans les moments de presse, on travaille la nuit et quand les enfants. « succombant au sommeil, cessent d’agir, on les réveille par tous les moyens possibles, le nerf de bœuf compris ». Mais Villermé déclare que ce fait est « une rare exception ». Il ajoute : « Quand bien même les enfants ne seraient pas employés dans les manufactures, ils subiraient les mêmes mauvais traitements. C’est là le malheur de leur naissance. »

Car ce n’est pas parce qu’ils sont ouvriers qu’on les bat cruellement, mais parce qu’ils sont des enfants, des faibles, et ceux qui les battent sont des ouvriers eux-mêmes, acharnés à la tâche et croyant défendre leur salaire en travaillant jusqu’à l’épuisement de leurs forces et de celles des enfants. « À Rouen, dit Villermé, les tribunaux ont eu souvent à sévir contre « l’odieux abus… en vertu duquel