Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/402

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qu’elle mettait elle-même la main sur les parties qui se détachaient en Europe : la Serbie, et les provinces de Moldavie et Valachie.

De son côté, l’Angleterre venait d’acquérir Aden et de passer avec le sultan une convention par laquelle il s’interdisait l’exercice de tout monopole commercial dans toutes les parties de son empire, c’est-à-dire même en Syrie et en Égypte. Le système de la porte ouverte était avantageux pour le commerce européen, et par conséquent pour la France, mais seulement en théorie. En fait, il ne l’était que pour l’Angleterre, qui interdisait ainsi à Méhémet-Ali de passer avec la France des traités commerciaux qui eussent assuré à notre pays des avantages à l’exclusion de l’Angleterre. Le gouvernement français dut adhérer à ce traité, qui était de plus une reconnaissance des droits souverains du sultan.

Ces droits, d’ailleurs, le vieux Méhémet-Ali se gardait bien de les contester. Pourvu qu’il eût la puissance de fait, l’indépendance absolue dans les territoires qu’il avait conquis, la suzeraineté nominale du sultan ne le gênait point. Il tentait même de persuader celui-ci que la Porte avait tout intérêt à lui laisser la paisible possession de ses conquêtes, et il lui offrait un concours plus fidèle et moins intéressé que celui de la Russie. Son envoyé à Constantinople, qui avait été reçu avec de grands honneurs, avait pour mission de pousser à cette réconciliation de l’Islam, seule capable de le libérer de ses dangereux protecteurs européens.

Tandis que l’envoyé de Méhémet-Ali essayait ainsi d’obtenir du sultan ce que les puissances s’obstinaient à refuser à son maître, les troupes turques se mettaient en marche et envahissaient la Syrie. Le fils de Méhémet-Ali marcha aussitôt à leur rencontre. Les deux armées étaient égales en nombre, mais non en valeur. Ibrahim avait pour lui le prestige de ses victoires récentes, qui donnait à ses soldats une confiance illimitée. Il battit l’armée turque à Nezib, le 24 juin, et se mit aussitôt en marche vers les défilés du Taurus.

Là, il fut arrêté par les représentations du gouvernement français. L’empêcher de poursuivre plus avant, c’était promettre à Méhémet-Ali la possession paisible de ce qu’il avait déjà. La France pouvait-elle faire cette promesse, et surtout la tenir ? Oui, si elle eût été pleinement d’accord avec l’Angleterre. Or, le moment de l’accord était passé.

En 1833, sous l’impression du traité d’Unkiar-Skelessy, l’Angleterre avait proposé à la France de briser ce traité à coups de canon, d’en libérer la Turquie en poussant les flottes alliées jusque dans la mer Noire. La France, alors, n’avait pas voulu s’engager dans une guerre avec la Russie. L’Angleterre, à présent, allait-elle aider la France à consolider la puissance de Méhémet-Ali, se fermer ainsi la route des Indes ?

Metternich eût été un enfant s’il n’avait pas profité de la situation pour accroître les embarras de la France et attiser la mésintelligence des deux grandes nations libérales. Il proposa donc la réunion d’une conférence à laquelle