Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/413

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courage à annoncer les temps de fraternité internationale en un moment où ils paraissaient plus lointains que jamais.

Sous le titre de Réponse à M. Becker, Lamartine publia son chant dans la Revue des Deux Mondes.


Roule, libre et superbe entre tes larges rives,
Rhin, Nil de l’Occident ! coupe des nations !
Et des peuples assis qui boivent tes eaux vives
Emporte les défis et les ambitions !

Et pourquoi nous haïr et mettre entre les races
Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu !
Des frontières au ciel voyons-nous quelques traces
Sa voûte a-t-elle un mur, une borne, un milieu ?
Nations ! Nom pompeux pour dire barbarie ! L’amour s’arrête-t-il où s’arrêtent vos pas ?
L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie,
____La Fraternité n’en a pas !

Ce ne sont plus des mers, des degrés, des rivières.
Qui bornent l’héritage entre l’humanité ;
Les bornes des esprits sont leurs seules frontières.
Le monde en s’éclairant s’élève à l’unité.
Ma patrie est partout où rayonne la France,
Où sa langue répand ses décrets obéis !
Je suis citoyen de toute âme qui pense :
____La vérité, c’est mon pays.

Roule libre et grossis tes ondes printanières
Pour écumer d’ivresse autour de tes roseaux.
Et que les sept couleurs qui teignent tes banières Arc-en-ciel de la paix, serpentent dans tes eaux.


Ce cri de fraternité internationale, qui ne niait pas les patries, mais les réconciliait autour du fleuve arrosé de trop de sang, fut accueilli avec fureur sur les deux rives. Cependant, en Allemagne, il fut traduit par le poète Freiligrath, par Gubilz et par Spieker. Chez nous, il fut propagé en brochure distribuée gratuitement par un groupe d’ouvriers qui appelaient de leurs vœux et de leurs efforts le règne de la paix et du travail ». Mais ce furent l’incompréhension et l’hostilité qui dominèrent. Edgar Quinet écrivait à sa mère : « Les journaux allemands ont abominablement, indignement traité la Marseillaise de la Paix. »

Les journaux français ne furent pas plus équitables. Laissons le Charivari, républicain pourtant alors, et fort courageux dans sa lutte contre le régime de Juillet, qui appelle le poète M. de la Tartine et publie une plate parodie de ce poème admirable. Mais le National, l’organe de la démocratie, comment pouvait-il oser écrire les lignes que voici ?

« Traitant de la vie politique en poète, et la poésie en politique, il (Lamartine) ne sera jamais sérieux et il cessera d’être un homme éminent en poésie. Cette décadence, depuis longtemps commencée, se poursuit sous nos yeux par des outrages au bon sens et des insultes à la grammaire. Cela devait être :