Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/421

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sives de la nation deviennent presque féroces. Il y avait un peu de cela dans l’exaspération dont le ministre du 1er mars était alors l’objet. »

Le débat eut le caractère d’une querelle entre le ministre du jour et celui de la veille. Guizot accusa Thiers d’avoir arrêté Ibrahim après la victoire de Nézib. Thiers accusa Guizot d’être le ministre de la paix certaine. Thiers ne méritait pas ce reproche, Guizot le savait mieux que personne, mais il n’hésita pas, afin de grouper autour de lui les intérêts alarmés, de donner à son adversaire le rôle belliqueux que celui-ci avait pris pour la galerie.

— Si vous aviez fait de meilleure politique, lui jeta Guizot, j’aurais pu faire de meilleure diplomatie.

— Vous deviez me le dire ! répliqua Thiers.

— Je n’y ai pas manqué. Relisez mes dépêches.

— Vous n’avez pas tenu compte de mes instructions.

— Il fallait m’en donner qui ne fussent pas contradictoires.

— Vous vous êtes laissé berner à Londres.

— Parce que vous me forciez à faire des mensonges trop grossiers.

— Vous ne m’avez pas dit qu’on allait traiter sans nous.

— Je vous ai averti qu’il se tramait quelque chose.

— Si vous aviez fait de meilleure politique, ajouta Guizot, j’aurais pu faire de meilleure diplomatie.

— On s’est joué de moi, avoua piteusement Guizot.

Tel fut, dépouillé de la rhétorique parlementaire, le dialogue de l’ancien ministre et de l’ancien ambassadeur. « On vit, dit M. Thureau-Dangin scandalisé, on vit les deux adversaires ne pas hésiter, pour les besoins de leur cause particulière, à vider les cartons du ministère, venant lire à la tribune les dépêches officielles, et même les lettres privées, livrant les secrets d’État, sans même s’apercevoir, dans leur étrange acharnement, de la surprise pénible qu’ils provoquaient ainsi en France et hors de France : le tout pour arriver à bien établir devant l’étranger, qui écoutait et auquel une telle démonstration ne pouvait déplaire, que si la France se trouvait dans une situation fâcheuse, elle le devait à l’incapacité, si ce n’était même à la déloyauté de tous ceux qui, à des titres différents, avaient mis la main à ses affaires. »

L’historien de la monarchie de Juillet mentionne le journal de Ch. Greville, qui déclare que « les révélations de secrets officiels et confidentiels ont été scandaleuses », et il invoque la chronique politique de Rossi dans la Revue des Deux Mondes, du 1er décembre 1840. « Nous ne croyons pas nous tromper, dit celui-ci, en affirmant que le comité diplomatique de la Convention mettait plus de réserve dans ses communications au public sur les affaires pendantes. « Il est vrai. Mais il y a, des conventionnels aux ministres de Louis-Philippe, cette distance que les premiers faisaient à la patrie et à la liberté le sacrifice de leur vie et de leur réputation, et que les seconds ne songeaient qu’à s’arracher mutuellement les profits de ce noble héritage.