Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/43

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de procédés inhumains envers les jeunes gens arrêtés. « Blanqui, nous dit Gustave Geffroy, dans son beau livre l’Enfermé, répond par une lettre violente, datée de la Force, où il dit la promiscuité avec les voleurs et les assassins imposée à ses amis et à lui, les promenades dans le panier à salade, la boue donnée comme boisson, l’humidité des murailles et des draps ; l’atmosphère infecte, tout cela pour récompenser les patriotes du sang versé en juillet pour la liberté. Il ne se plaint pas, d’ailleurs, et il finit par une citation latine et un vers de Béranger. Le soir même de la publication de la lettre, ses amis et lui sont remis en liberté, et le National demande pourquoi les trois semaines de détention après l’alibi prouvé. »

C’est ici la première étape de l’âpre révolutionnaire à travers les cachots qui contraindront son corps sans réduire sa volonté. De la Force, où il entre le 30 janvier 1831, à Clairvaux, d’où il sortira le 11 juin 1879, il donnera à la liberté de tous quarante ans de sa liberté à lui.

À l’agitation politique et ouvrière de Paris répondaient, en province, des mouvements par lesquels se manifestaient les souffrances les plus aiguës et les besoins les plus immédiats. La révolution de Paris donna le courage de protester violemment à des gens qui, sans elle, eussent continué d’endurer en silence leurs maux accoutumés. Des troubles éclatèrent un peu partout, affirmant les griefs, et aussi les appréhensions de la foule.

À Besançon, les vignerons manifestent bruyamment. En tête de leur manifestation une pancarte avec ces mots : À bas les rats et les accapareurs ! Le bureau des contributions indirectes est saccagé par cinq ou six cents furieux. Dans d’autres pays vignobles, à Bourges notamment, les troubles éclatent aux cris de : Plus de commis, ou il n’y a rien de fait ! C’est la vieille guerre du paysan et du fisc. Le gouvernement ayant été vaincu, le fisc doit disparaître, ou bien, pour le paysan, il n’y aura rien eu de fait, c’est une révolution qui ne comptera pas.

Mais c’est surtout la crainte de la disette, et par conséquent la défiance et la haine dont les négociants en grains sont l’objet, qui émeut et ameute les foules. À Auxerre, le marché est envahi, et les acheteurs, fixant d’autorité le prix au-dessous du cours se répartissent le blé disponible. La foule, de là, se rend chez un marchand réputé accapareur et le force à vendre au cours fixé par elle.

À Issoudun, des rassemblements armés se forment, arrêtent au passage les voitures de blé. La circulation des grains est également arrêtée dans les Deux-Sèvres, à Bordeaux, Orléans, Corbeil, Montreuil-sur-Mer, Saint-Pol, Hesdin, un peu partout d’ailleurs. À Gournay, qui est le siège du marché au beurre le plus important du nord de la France, une émeute éclate contre les gros marchands qui font des marchés amiables avant la criée et fixent ainsi les prix à leur gré.

À Rouen et dans toute la région cotonnière et drapière de Normandie, l’agitation est ouvrière. Là c’est la crise qui affame des milliers de malheureux et les surexcite. On envoie contre eux des troupes, et lorsque le calme est rétabli, on leur distribue d’insignifiants secours arrachés à la peur bien plus qu’à la pitié. À Marseille, les tonneliers forment une coalition pour relever leurs salaires.