Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/431

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dans ses lettres à ses ambassadeurs, au roi Léopold et à Metternich lui-même. Il est certain que si Guizot ambassadeur avait pu prévoir les ennuis que ces lettres causeraient à Guizot ministre, il n’eùt pas hésité à en donner le prix demandé.

Pour les gens que n’intéressaient pas les drames et les comédies politiques, une autre affaire, assurément plus tragique, vint à ce moment satisfaire leur curiosité. Le principal personnage en était également une femme. La condamnation qui la frappa constitue encore pour beaucoup une de ces erreurs judiciaires qui sont inhérentes à l’organisation même de la justice. C’est de l’affaire Lafarge que nous voulons parler.

Marie Capelle, héroïne de ce drame, était la fille d’un colonel d’artillerie. En 1839, alors âgée de vingt-cinq ans, elle avait épousé un maître de forges nommé Pouch-Lafarge. Celui-ci ne maintenait sa situation commerciale, fort difficile, qu’au moyen d’expédients tels que billets de complaisance souscrits par un homme à ses gages et renouvelés à l’échéance, et autres moyens peu délicats. Il avait naturellement trompé la famille Capelle sur son véritable état de fortune, et il avait enthousiasmé la jeune fille, dont il convoitait les cent mille francs de dot, en lui décrivant le château où elle serait dame et maîtresse, dans un des sites les plus pittoresques de la Corrèze.

Or, le château du Glandier était une bicoque dans un pays perdu. On se fait une idée du dépaysement de cette jeune Parisienne, habituée à un confortable presque luxueux et aux relations agréables que procure l’existence mondaine. Sa désillusion fut trop vive pour qu’elle pût cacher aux trop rares personnes qu’on voyait, son ennui, et celui qu’y ajoutaient leurs menus bavardages faits de médisance et d’envie. Aussi, mit-elle vite contre elle tout ce qui constituait la bonne société des environs.

Son mari eut bientôt recours à elle pour sortir des embarras où il était, chaque jour, plongé plus avant. Elle lui donna sa procuration afin qu’il pût réaliser, sur sa dot, les fonds nécessaires à un fort paiement. Il allait se mettre en route lorsqu’il mourut subitement. Sans hésitation, sa famille accusa la jeune femme de l’avoir empoisonné. Sans plus d’hésitation, la justice se saisit d’elle.

Devant le jury de la Corrèze, qui reflétait naturellement les passions locales, les experts furent partagés, ce qui est l’ordinaire des expertises judiciaires. Orfila concluait à l’empoisonnement par l’arsenic, Dupuytren niait la présence de l’arsenic dans les viscères du mort. Lachaud, qui défendait madame Lafarge, et dont c’était le début dans une carrière qui devait être si retentissante, demanda une nouvelle expertise à Raspail, qui la fit, mais arriva trop tard. Le jury avait prononcé une condamnation aux travaux forcés à perpétuité, qui prouvait bien, étant données la peine de mort inscrite dans le code et la grandeur du crime imputé à l’accusée, qu’il n’était pas du tout certain de sa culpabilité.