Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/442

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damnation sur eux, ne pouvaient que favoriser le mouvement en faveur de la réforme. Il fit sur le ministère, averti par ses amis, notamment par Lamartine et Émile de Girardin, assez d’impression pour le forcer à en délibérer en conseil avec le roi, d’autant que des propositions très modérées allaient être soumises à la discussion de la Chambre et qu’il semblait bien difficile de les écarter. Mais, soutenu énergiquement par le duc d’Orléans, Louis-Philippe ne voulut rien entendre et donna ordre à ses ministres de s’opposer à toute modification électorale et de laisser à l’argent toute sa puissance politique.

Les propositions de réforme vinrent en discussion dans les premiers jours de février. L’une, déposée par Ganneron, ramenait la question des incompatibilités, proposait que nul député ne fût nommé fonctionnaire au cours de son mandat, ni pendant l’année qui suivrait sa rentrée dans la vie privée. L’autre, de Ducos, proposait l’adjonction des capacités à la liste des électeurs censitaires et mettait le savoir sur le même pied que la richesse.

Le ministère les combattit toutes deux. Dans une éloquente réplique, Lamartine qualifia le conservatisme de Guizot et son implacable immobilisme : « Si c’était là, s’écria-t-il, tout le génie de l’homme d’État chargé de diriger un gouvernement, il n’y aurait pas besoin d’homme d’État : une borne y suffirait. » Le mot fit fortune, et désormais Guizot et sa majorité ne furent plus connus que sous le nom de conservateurs-bornes.

Mais la Chambre était impatiente de revenir aux affaires. Par leurs organes, notamment le Journal des Débats, les capitalistes la pressaient de s’occuper des chemins de fer, de leur donner les douze cents millions dont ils avaient besoin pour construire le réseau projeté et l’exploiter à leur profit. Le ministère présenta donc un vaste projet d’ensemble, reliant Paris à la Belgique par Lille et Valenciennes, à l’Angleterre par Rouen, le Havre et Dieppe, à l’Allemagne par Nancy et Strasbourg, à la Méditerranée par Lyon, Marseille et Cette, à l’Espagne par Tours et Bordeaux, à l’océan par Nantes, au centre par Bourges ; de plus, une ligne devait relier la Méditerranée au Rhin par Lyon et Dijon.

Thiers combattit le système d’ensemble. Il invoqua d’abord les arguments budgétaires. « Je crois, dit-il, et je déclare tout de suite que les finances de la France sont, sinon les plus puissantes (car il y a à côté les finances anglaises), mais sont, avec les finances anglaises, les plus puissantes de l’Europe. » Mais, ajoutait-il, « nos finances sont engagées pour plusieurs années, sérieusement et gravement engagées ». Et il montrait le budget de 1841 qui, avec ses 1,282 millions de dépenses et ses 1,166 millions de recettes seulement, s’était soldé par un déficit de 116 millions. Or, en face de ce déficit, il n’en fallait pas moins payer les 800 millions de dépenses supplémentaires engagées par le ministère du 1er mars.