Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/468

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

proclamât, comme en Icarie, l’égalité entre les époux, en rendant seulement la voix du mari prépondérante, et en faisant d’ailleurs tout ce que la loi fait ici pour que les époux soient toujours d’accord et heureux. »

Donc, en fait, c’est la famille, représentée par l’homme, qui constitue le citoyen, l’unité civique, dans la communauté icarienne. Mais ce n’est pas elle qui se charge de l’éducation des enfants, qui d’ailleurs, bien qu’élevés dans les écoles de la République, ne sont pas soustraits à l’affection de leurs parents. Mais connue, pour Cabet, « l’éducation est considérée comme la base et le fondement de la société », les enfants reçoivent l’éducation dans les écoles, et non pas seulement l’instruction et l’enseignement professionnel.

L’égalité sociale a pour corollaire l’égalité devant les tâches. Il n’y a pas des professions nobles et des professions ignobles, mais des fonctions publiques équivalentes devant l’opinion. Dans les opérations du travail, il n’y a pas des chefs et des manœuvres, mais des fonctions de la division du travail. Nul, pour une tâche mieux faite ou pour un produit plus abondant, n’a droit à une rémunération supérieure. D’ailleurs, le droit individuel n’existe pas. La fraternité, bien supérieure à cette conception du tien et du mien, l’a remplacé. Cabet croit si fort à la puissance de ce sentiment fraternel, qu’il s’écrie :

« Si l’on nous demande :

« Quelle est votre science ? La Fraternité, répondrons-nous.

« Quel est votre principe ? La Fraternité.

« Quelle est votre doctrine ? La Fraternité.

« Quelle est votre théorie ? La Fraternité.

« Quel est votre système ? La Fraternité. »

Dans la République icarienne, sous l’inspiration de la fraternité, les lois font tout. Elles font même les mœurs. Les mœurs viennent de la nature ; les lois viennent de la raison, puisque le peuple les a délibérées. Donc c’est à la raison, par les lois, à faire les mœurs. « La Raison, s’écrie-t-il, ne suffit-elle pas pour organiser la société ?… La Raison est une providence secondaire qui peut créer l’égalité en tout. »

D’ailleurs, la raison ne fait que se conformer à la nature qui, selon Cabet, « a fait les hommes égaux en force ». Il ajoute qu’ « elle les a faits même égaux en intelligence ». La société, dans sa déraison, a défait l’œuvre de la nature en créant artificiellement les inégalités ; elle doit, devenue raisonnable, rétablir l’égalité primitive voulue par la nature. On reconnaît ici l’influence directe de Jean-Jacques Rousseau.

Et la liberté, que devient-elle en régime d’égalité absolue ? Il y a bien en Icarie « la loi du couvre-feu », mais cette loi qui interdit aux gens de veiller passé une certaine heure ne pourrait paraître tyrannique qu’aux bonnes gens de l’ancien régime. Le peuple icarien n’eût pas supporté une « intolérable vexation » qui autrefois était « imposée par le tyran ». S’il consent à se coucher en masse au son du couvre-feu, c’est parce qu’il a consi-