Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/490

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leurs finalement à la satisfaction des besoins d’un nombre d’individus de plus en plus grand ; qu’elles seules rendent possible l’accroissement successif et indéfini du nombre d’hommes sur la terre ».

Mais ce que les docteurs économiques n’osent pas affirmer, sauf quelques impudents qui ferment les yeux à l’effroyable misère ouvrière ambiante, c’est que les améliorations matérielles « contribuent singulièrement à une distribution plus équitable des richesses et des autres avantages sociaux ». Comment donc Pecqueur peut-il lancer cette affirmation sans être lui-même un impudent docteur de l’optimisme économique, sans avoir au préalable fermé ses oreilles aux cris de détresse et de douleur du prolétariat ? Comment ne les aurait-il pas entendus, ces cris, lui qui nous montre les ouvriers sans travail de Sedan dépeçant les chevaux malades qu’on vient d’abattre, et s’en repaître ?

Tout aussi bien que les autres critiques sociaux, et d’un œil aussi clairvoyant, Pecqueur a constaté les premiers effets de tout progrès industriel dans le régime de la concurrence, concurrence qui, dit-il, « tend de plus en plus à l’avilissement du salaire ». Il sait « que l’introduction des machines tend de plus en plus à la dépréciation ou à l’annulation du travail ou de la coopération des ouvriers dans la production totale d’une nation ». Il n’ignore pas « que la misère, le paupérisme des populations salariées serait l’état général vers lequel s’avanceraient irrésistiblement les nations, et principalement celles qui s’adonnent davantage à l’industrie manufacturière et au commerce extérieur, si d’autres causes puissantes n’intervenaient prochainement pour faire contrepoids aux influences dissolvantes de la concurrence égoïste et facultative ».

Quelles sont ces causes ? Elles tiennent toutes dans les conséquences naturelles de la concurrence en même temps que des progrès industriels : la concentration capitaliste par élimination des petits fabricants. Loin de s’opposer à cette concentration, on doit la favoriser, y appeler les masses ouvrières, « les faire sortir des impasses économiques de la petite industrie », transformer par des entreprises et des améliorations incessantes « l’atelier privé, solitaire, malsain et triste en un ensemble grandiose où surgisse pour chacun l’émulation, la gaieté, la sécurité, l’épargne et la vie légère ».

« Pas de milieu, s’écrie-t-il : ou nous aurons l’association des classes moyennes, avec une faible proportion de salariés, ou une féodalité industrielle et commerciale plus ou moins absorbante, avec son cortège obligé, le prolétariat en grand. Ne sont-ce pas là les signes précurseurs, irrésistibles, d’une évolution profonde, universelle, séculaire, immense, dans le temps et dans l’espace, tout à la fois industrielle, politique et morale. »

Et dans l’hypothèse qu’il préfère, qu’il sent plus réalisable, de la concentration capitaliste, que se passera-t-il selon Pecqueur ? Aperçoit-il les crises de surproduction, que Fourier attribuait à la spéculation commerciale et que Marx attribuera plus justement à la constitution interne du capitalisme ? Oui,