Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/492

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certes. Dix ans avant le grand socialiste allemand, il constate que « la substitution périodique et indéfinie des machines aux bras des ouvriers augmente prodigieusement la production, alors même qu’elle diminue le nombre des consommateurs ».

De cette constatation, Karl Marx conclura à la catastrophe finale, le capitalisme contenant ainsi dans son développement les causes de sa destruction. Pour Pecqueur, la catastrophe n’est pas une inéluctable nécessité. Elle ne le sera que si l’humanité s’abandonne inerte au mouvement des choses. Et pour qu’elle ne s’y abandonne pas, il l’avertit qu’elle a à choisir entre une « féodalité nouvelle », amenant un « servage nouveau » du fait de « l’écrasante concentration » capitaliste, et « une conflagration courte, mais profondément radicale et transformatrice ».

Car la concentration capitaliste n’intensifiera pas et ne multipliera pas les crises, selon Pecqueur. Le capitalisme triomphant peut très bien organiser son monopole et régler la production, dès qu’il aura substitué l’association d’un petit nombre de maîtres à la concurrence d’un nombre infini de grands, moyens et petits industriels et commerçants. Ici, il faut reconnaître que Pecqueur a vu plus juste que ne verra Marx plus tard. L’écrasante féodalité par association des capitalistes supprimant la concurrence, réglementant la production, prévenant les crises, est née déjà en Amérique, car les trusts ne sont pas autre chose, et menace de se développer en Europe.

Quant à la « conflagration courte » qui doit radicalement transformer le monde économique et social, elle naîtra précisément du désir révolutionnaire d’un prolétariat qui ne se résigne pas au servage nouveau. Il aperçoit « le renouvellement de la lutte du prolétariat contre les plébéiens parvenus au bien-être et à la puissance politique », mais redoute « l’avènement turbulent d’une démocratie mineure et prématurée ». Qu’est-ce donc qui mûrira le prolétariat, en même temps que la classe capitaliste sera « pénétrée du sentiment de la validité ou de la légitimité » des prétentions des travailleurs ?

C’est ici que Pecqueur affirme avec force le déterminisme économique. « Les chemins de fer et les forces motrices modernes créent bien la féodalité capitaliste, » mais ils sont du même coup « d’énergiques et de directs promoteurs de la forme gouvernementale représentative dans toutes les nations, sous toutes les latitudes, à tous les étages de la civilisation où seront propagés ces leviers ». Et annonçant la démocratie comme la forme politique de l’avenir, il affirme que « toute nation qui propagera chez elle les forces motrices et les moyens de transport sera conduite à se transformer en ce sens ».

Donc, dans l’ordre économique, concentration des capitaux et féodalité ; dans l’ordre politique, moral et social, marche continue vers la liberté et l’égalité. Il n’y a plus désormais qu’à faire servir le pouvoir politique à éviter la catastrophe par des réformes successives qui substituent graduellement les travailleurs associés aux capitalistes associés. Il ne s’interdit pas pour cela