Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/505

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classe politique à côté d’elles, et faire reconnaître ainsi son droit à l’existence. D’où le nom de chartisme donné à cette agitation, qui n’acquit pas les droits politiques au prolétariat anglais, mais l’organisa solidement sur le terrain syndical et lui valut le bénéfice d’une législation protectrice du travail que le continent devait imiter de longues années après.

La place manque ici pour tracer les péripéties d’une lutte qui, un moment, fit osciller la forte société anglaise sur ses bases. Obéissant au sens pratique et analytique qui lui est propre comme le nôtre est de procéder par synthèse idéaliste, le prolétariat anglais ne fît pas du socialisme, mais du syndicalisme. Il ne mêla nulle philosophie, nulle religion, nulle politique, à son aspiration continue vers l’amélioration de son sort. Il accepta le concours de tous les partis, apportant sa puissance d’opinion à ceux qui lui offraient un avantage, une réforme, un progrès, si minimes fussent-ils.

De même que les prolétaires étaient la classe opprimée dans le Royaume-Uni, les Irlandais étaient le peuple opprimé. Par la grande voix d’O’Connel, ceux-ci offrirent à ceux-là l’alliance en ces termes, en 1843 :

« Je vous dis que les Cobdenistes, les Sturgistes, les Atwoodistes, les Crawfordistes, ne sont que des sections du capitalisme, du whiggisme. Je vous dis avec raison que, tant qu’il y aura des hommes intéressés à exploiter le travail, et disposant de la force, le travail sera exploité. La loi supprime le pauvre ; la loi est faite pour le riche. Dans cette question, tous les opprimés ont le même intérêt. Les Irlandais doivent sympathiser avec les chartistes d’Angleterre… Que tous ceux qui souffrent s’unissent, serrent leurs rangs, et le travail triomphera de ses oppresseurs. ».

Le travail ne devait pas triompher de ses oppresseurs, puisque ce triomphe est dans leur disparition, mais il devrait créer une puissance qui prendrait peu à peu conscience d’elle-même et de ses destinées. Déjà, des signes nombreux annoncent que les deux forces économiques du prolétariat anglais : la coopérative et le syndicat, se préparent à l’emploi des moyens politiques non plus seulement pour augmenter la part des travailleurs dans la répartition des produits, mais pour leur donner la souveraineté complète et réaliser ainsi la démocratie sociale.

À l’époque où grandissaient en France l’action et la pensée socialistes, et en Angleterre le syndicalisme ouvrier, le mouvement social en Allemagne s’éveillait à la voix de Guillaume Weitling, qui avait reçu à Paris la doctrine communiste. Le jeune ouvrier tailleur, pour lancer l’idée parmi ses compatriotes, se fit écrivain. Sa brochure : l’Humanité telle quelle est et telle qu’elle devrait être, inspirée des écrits de Dézamy, de Laponneraye et de Pillot, le fit expulser de France en 1841. Mais de même qu’elle avait gagné au communisme les ouvriers allemands fixés à Paris, elle y gagna ceux qui s’étaient réfugiés en Suisse à la suite de l’échec des mouvements libéraux de 1830, puis pénétra en Allemagne.