Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/51

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prêt et j’en suis enchanté. Je vous réponds que j’y aurai bientôt un petit noyau de troupes avec lesquelles je ferai du tapage ».


Soldat du drapeau tricolore,
D’Orléans, toi qui t’as porté..


Voilà ce que, moins de vingt ans après, on devait faire chanter au peuple ignorant. Louis-Philippe avait été un émigré tant que flotta en France le drapeau tricolore. Et quand, drapé dans ses plis, il escalada le pouvoir, il se fit pardonner l’audace grande et rentra en grâce auprès des cours absolutistes en trahissant ses ministres au profit de la politique de Metternich, qui devait se jouer de lui et utiliser les confidences pour animer l’Angleterre contre la France. Il ne cessa donc pas d’être un émigré : il fut un émigré de l’intérieur.

L’accord est unanime sur les vertus familiales de Louis-Philippe. Disons cependant qu’il les pratiqua de manière à justifier les boutades de Fourier contre la famille : « Le laboureur qui déplace les bornes du voisin, dit-il, le marchand qui vend de fausses qualités, le procureur qui dupe ses clients sont en plein repos de conscience quand ils ont dit : « Il faut que je nourrisse ma femme et mes enfants ». Le roi avait l’orgueil de limiter ses affections au cercle étroit de sa famille. « Je n’ai pas d’amis, disait-il un jour à Odilon Barrot, et je n’en veux pas avoir. »

C’était un principe de droit public sous la monarchie que le prince appelé au trône réunît ses biens personnels au domaine de la couronne. Louis-Philippe refusa cet enjeu à la révolution qui le mettait au pouvoir, car il prévoyait la révolution qui l’en écarterait. Il donna publiquement cette marque de défiance au peuple qui lui offrait une couronne, et par un acte du 7 août 1830, c’est-à-dire de l’avant-veille de sa proclamation, il fit donation à ses enfants mineurs de ses biens particuliers.

Dupin aîné, qui fut, on le sait, l’homme d’affaires, l’intendant privé de la maison d’Orléans, dégage sa responsabilité, dans ses Mémoires, et déclare que Louis-Philippe ne l’a pas consulté dans un acte aussi important. Cela paraît bien extraordinaire. S’il avait été mis au courant, il aurait, affirme-t-il, conseillé la réunion des biens d’Orléans au domaine, « comme marquant de la part du prince plus de confiance et d’abandon. »

Et ces biens que le nouveau roi soustrayait à la nation n’étaient pas peu de chose. Depuis 1815, il s’était attaché à les réaliser, à les préserver, à les consolider. Pour cela, il n’avait accepté la succession de son père, Philippe-Égalité, que sous bénéfice d’inventaire. Passé maître en chicane, aidé du chicanier professionnel que fut Dupin aîné, il opposa la prescription à certains créanciers et, nous dit M. Debidour, « avec d’autres plaida longuement, parvint à racheter beaucoup de titres au rabais, poursuivit d’autre part âprement son dû et, après la mort de sa mère (1821) dont les biens lui revinrent pour les deux tiers, parvint à reconstituer un capital qu’on pouvait évaluer, comme la fortune de son père en 1789, à plus de 200 millions de francs. »