Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/525

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Robert Peel s’était emparé de l’incident Pritchard pour faire chorus au vacarme que menaient, dans la presse et dans les meetings, les patriotes et les prédicants. Aux Communes, il était allé jusqu’à dire que l’Angleterre avait été insultée grossièrement et indignement, et avait terminé sa réponse à une interpellation de complaisance par ces paroles : « Je pense que le gouvernement français fera la réparation qu’à notre avis l’Angleterre a le droit de réclamer. » De son côté, Guizot était interpellé à la Chambre des pairs par Molé, auquel se joignirent Montalembert et le prince de la Moskowa pour lui demander quelle serait sa réponse aux menaces anglaises. Guizot avait employé toutes les ressources de sa dialectique pour démontrer à ses contradicteurs qu’il n’y avait pas conflit entre la France et l’Angleterre, mais simplement un minime incident colonial que la diplomatie terminerait facilement. Ce fut également sa réponse à la Chambre des députés, où Berryer, Billault, La Rochejacquelein le pressèrent en vain, en invoquant l’honneur national offensé par le ton hautainement agressif du gouvernement anglais.

Le 29 août, il exprimait officiellement des regrets au gouvernement anglais du traitement infligé à Pritchard et, le 2 septembre, une indemnité était offerte en réparation du dommage subi par le missionnaire zélé de l’expansion anglaise, en même temps que la reine Pomaré était rétablie sur son trône. Enfin, pour rassurer complètement l’Angleterre sur les intentions de la France au Maroc, le traité de paix conclu avec le sultan Muley-abd-er-Rhaman accordait à celui-ci les conditions qui lui avaient été offertes avant la guerre : il ne payait pas un sou d’indemnité et promettait seulement l’expulsion d’Abd-el-Kador du territoire marocain.

Qu’est-ce donc qui avait poussé Louis-Philippe à se montrer si conciliant, à la grande fureur de Bugeaud, qui accusait le prince de Joinville de s’être conduit comme un « grand mollasse », et à conclure si rapidement des arrangements qui donnaient les plus complètes satisfactions aux exigences et aux susceptibilités britanniques ? Était-ce son amour de la paix à tout prix ? La crainte que la France ne fût vaincue par l’Angleterre ? Non, mais la crainte de voir la Russie se rapprocher de cette dernière puissance et servir de lien à une nouvelle coalition plus difficile à rompre que celle de 1840. Le voyage du tzar Nicolas à Londres, dans le courant de juin, avait plongé Louis-Philippe dans la plus vive inquiétude, car il n’ignorait pas les sentiments que professait l’autocrate pour notre pays et son gouvernement, si résolument conservateur que fût celui-ci.

Nicolas, qui avait entouré de faste sa visite à la reine Victoria, n’était pas allé à Windsor pour y faire une visite d’apparat, mais dans le but très précis d’établir entre l’Angleterre et la Russie une entente pour la paisible possession de leurs territoires respectifs en Asie, sur les bases d’un partage amiable de leurs zones d’influence. Le Foreign Office n’avait pas accueilli ces ouvertures, mais Louis-Philippe ignorait cela, et se sentait sous la menace