Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/530

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gallicane, contestait formellement la validité des articles organiques. Rappelé à l’ordre par le Conseil d’État, il déclarait ne relever, en ces matières, que du pape, qui seul avait le droit de le juger : « Jusque là, disait-il, un appel comme d’abus ne peut pas même effleurer mon âme. » Le pape lui donnait raison en faisant condamner le livre « hérétique » de Dupin par la congrégation de l’Index, et soixante évêques se solidarisaient avec le séditieux cardinal. Mais si le gouvernement se bornait à contenir platoniquement les plus furieuses manifestations de l’effervescence cléricale, la société civile, dans ses éléments les plus sains, les plus robustes, les plus cultivés, ne s’abandonnait pas. Michelet, dans un livre retentissant, frappait à la tête, attaquant directement les jésuites, montrant qu’ils étaient désormais les maîtres de l’Église. « Le jésuitisme, disait-il, agit puissamment par ceux qu’on lui croit étrangers, par les sulpiciens qui élèvent le clergé, par les ignorantins qui élèvent le peuple, par les lazaristes qui, dirigeant six mille sœurs de charité, ont la main dans les hôpitaux, les écoles, les bureaux de bienfaisance, etc. Tant d’établissements, tant d’argent, tant de chaires pour parler haut, tant de confessionnaux pour parler bas, l’éducation de deux cent mille filles, la direction de plusieurs millions de femmes, voilà une grande machine. »

Un autre professeur, Guérin, dans les Jésuites et l’Université, dénonçait avec un grand succès leurs polémiques et leurs agissements, Cuvilier-Fleury, pourtant si fortement attaché à la monarchie de Juillet et à la conservation sociale, les signalait comme des « hypocrites patentés », des « marchands d’indulgences », des « pourvoyeurs d’absolution », des « colporteurs de pieuses calomnies. Enfin, et ceci montre que l’insurrection des consciences était générale, le Journal des Débats lui-même les dénonçait comme « un monument vivant du mépris de la loi ». On relisait Pascal et Voltaire. Les Découvertes d’un bibliophile, une brochure où la casuistique des jésuites et l’immoralité des questions traitées dans le chuchotement du confessionnal étaient mises à jour par des textes empruntés à leurs livres sur les cas de conscience, étaient dans toutes les mains. Dans le Juif Errant, Eugène Sue campait son inoubliable jésuite Rodin et enrichissait le Constitutionnel, dont tout le monde s’arrachait le feuilleton.

M. Thureau-Dangin, qui a toutes les tendresses des conservateurs de notre temps pour les jésuites, croit que ce soulèvement de la conscience publique fut un instrument de l’opposition. Il rappelle ironiquement le mot de Benjamin Constant à Corcelles : « On a bien tort vraiment de s’embarrasser pour l’opposition ; quand on a rien, eh bien… il reste les jésuites ; on les sonne comme un valet de chambre, ils arrivent toujours. » Si vraiment le grand orateur libéral avait tenu un tel propos, cela nous serait une preuve de plus qu’il existe entre l’esprit jésuite et le sentiment public une opposition irréductible, que le jésuite est bien l’ennemi de la société, puisqu’il suffit d’évoquer ce spectre pour la dresser sur la défensive. Mais