Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/534

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de Laval. La maison professe de la rue des Postes se dédoubla d’ailleurs pour former les établissements de la rue du Louvre et de la rue de Sèvres, et rouvrit elle-même un peu plus tard. M. Thureau-Dangin avoue d’ailleurs la comédie jouée alors, sans chercher à dissimuler sa satisfaction.

« Les Chambres s’étaient séparées, dit-il ; les journaux parlaient d’autre chose. Le ministère, plus libre de suivre ses propres inspirations, renonça sans bruit aux mesures annoncées avec tant d’éclat dans le Moniteur… Il y eut des déplacements, des disséminations, des morcellements gênants, pénibles et coûteux pour la Compagnie ; mais pas un jésuite ne quitta la France, pas une maison ne fut fermée : il s’en ouvrit au contraire de nouvelles. » Et l’historien clérical ajoute en riant largement : « M. Guizot laissa faire et n’exigea pas davantage. » Ah ! ce bon « M. Guizot », qui n’exigea pas des jésuites qu’ils ouvrissent plus de maisons qu’ils ne pouvaient… Le trait ne vous semble-t-il pas exquis, et « M. Guizot » ne vous paraît-il pas avoir le remerciement qu’il a mérité ?

À ce semblant de persécution, les jésuites répondirent naturellement par un tapage de plaintes et de gémissements, ameutèrent tous les fidèles, lièrent à leur cause — et ils avaient raison — celle de l’Église tout entière. On était à la veille des élections, le gouvernement ne voulait pas se brouiller avec la droite, en face du développement continu du parti libéral et du parti démocratique. On lui avait demandé de frapper les jésuites ; après le simulacre qu’on a vu, il frappa réellement et de toute sa force sur leurs adversaires. Les cours de Mickiewicz et d’Edgar Quinet furent suspendus.

Pour frapper le cours de Quinet, le ministre Salvandy dut prendre conseil de la Congrégation, tant le moyen employé fut jésuitique. Il demanda au professeur une modification au titre de son cours, d’enlever « des institutions » au titre des Littératures et des institutions comparées de l’Europe méridionale. Quinet, à qui, par ce moyen détourné, on interdisait de parler de Rome et de l’Inquisition, refusa. Son cours fut alors définitivement interdit. Cette mesure souleva l’indignation de la jeunesse studieuse, et lorsque, dans sa chaire, Michelet rappela l’intimité de cœur et d’âme qui l’unissait à son frère de combat, une longue ovation salua ces paroles courageuses.

Quelques semaines après, Salvandy avouait ses sentiments à l’égard de l’Université en présentant à la signature du roi une ordonnance qui ajoutait pour une année vingt conseillers extraordinaires au Conseil royal de l’enseignement chargé de préparer un nouveau projet de loi sur l’enseignement. Ces vingt instruments dociles du gouvernement dompté par l’Église étaient introduits dans le conseil de l’Université, par ce que M. Debidour appelle justement « une sorte de coup d’État ». Cousin, au Luxembourg, Thiers, Dubois, Saint-Marc Girardin à la Chambre, attaquèrent cette mesure. Guizot avoua que l’ancien Conseil royal « représentait trop exclusivement la cause de l’Université », et que, d’autre part, le régime de l’Université était en opposition avec « les droits des croyances religieuses ». La majorité, cette fois, laissa faire, et le gouverne-