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qui se produisit le 16 avril dans la forêt de Fontainebleau. Les Débats, dans leur zèle contre-révolutionnaire, essayèrent de lui trouver des complices dans la presse d’opposition et de susciter un nouveau procès de complicité morale.

Il semble bien que le ministère soit entré un instant dans ces vues puisque le rédacteur d’un journal ministériel de Lyon, le Rhône, ayant déclaré cette tactique aussi maladroite que perfide, se vit casser aux gages. On n’osa cependant, cette fois, impliquer aucun journaliste, aucun écrivain républicain dans cette affaire ; mais on essaya de lui donner un caractère politique. Cela ne trompa personne : il était trop manifeste qu’on se trouvait en face d’une vengeance individuelle de serviteur évincé. L’avant-veille des élections générales, un nouvel attentat se produisait. Son auteur, nommé Henri, était un fou, que la Cour des pairs n’osa pas envoyer à l’échafaud. Elle ne le condamna pas moins aux travaux forcés à perpétuité. De l’aveu de tous, la place d’Henri était dans un cabanon.

Ces élections, qui eurent lieu le 1er août, ramenaient à la Chambre la majorité conservatrice renforcée en nombre, mais divisée. Parmi les conservateurs, il y en avait qui se rendaient compte que leur rôle ne consistait pas uniquement dans l’opposition à tout progrès, à toute réforme. Ils voulaient bien jouer en politique le rôle du frein, qui ralentit la marche aux passages difficiles, mais non celui de la borne qui arrête net et risque de faire verser l’équipage. Émile de Girardin, qui excellait à connaître l’opinion moyenne et s’y rallia toujours, car là était la plus grosse clientèle, avait pressé Guizot de donner satisfaction au sentiment public.

« Ou des réformes politiques, lui avait-il dit, ou des réformes matérielles. À cette condition seulement, vous aurez l’appui de mon journal et de mon vote. » Un journal aussi répandu que la Presse, qui avait dû un moment refuser des abonnés faute de matériel pour les servir, n’était pas à dédaigner. D’autres conservateurs progressistes avaient fait entendre le même avertissement au ministre, notamment Desmousseaux-Givré et Sallandrouze.

Guizot leur avait promis d’en tenir compte, et c’est à leur adresse que furent prononcées ces paroles de son discours du 2 août aux électeurs de Lisieux qui venaient de lui renouveler leur confiance : « Toutes les politiques vous promettent le progrès ; la politique conservatrice seule vous le donnera. » Cet homme grave était un pince-sans-rire admirablement réussi. Les électeurs de Lisieux étaient travaillés, eux aussi, par l’immense désir de réforme dont la France ressentait les premiers frémissements. Que ceux qui veulent être citoyens, faire partie du pays légal, prouvent leur capacité politique par une bonne conduite de leurs affaires, leur disait en substance le député-ministre. Puisque l’argent est le signe et le moyen du pouvoir, eh bien, gagnez-en : « Enrichissez-vous ! » Cette parole de Guizot, cet aveu, ce cri du cœur de l’homme d’affaires de la bourgeoisie au pouvoir, qui d’ailleurs fut personnellement désintéressé, résume tout le régime qui s’achève.

La Chambre, dans sa courte session d’août, uniquement tenue pour la formation de son bureau, ayant élu président Sauzet, le candidat du ministère, avec