Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/567

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isolées, impatientes de se mêler à l’action, les communistes dus deux fractions, ainsi que l’ensemble des phalanstériens, se tinrent à l’écart.

Ceux-ci eussent eu qualité légale, cependant, pour figurer dans les banquets réformistes organisés par Odilon Barrot et Garnier-Pagès. Leur banquet de 1847, tenu à Marseille, où soixante-sept convives étaient réunis, le prouve éloquemment. Le compte rendu de ce banquet nous a conservé le nom et la profession de chacun d’eux. On y trouve trois médecins, deux pharmaciens, quatre notaires, neuf professeurs, quatre avocats, un avoué, trois ingénieurs, cinq conducteurs des ponts-et-chaussées, un bibliothécaire, huit officiers, un magistrat, un sculpteur, sept fonctionnaires et employés de l’ordre administratif, un maître de postes, un vétérinaire, quatre négociants ou employés de banque, un prote d’imprimerie, un maître serrurier, un marchand tanneur, un entrepreneur, un directeur d’assurances, six propriétaires.

Si nous savons compter, cela fait soixante-six. Il pouvait donc y avoir deux ouvriers à ce banquet en comptant le prote d’imprimerie, qui est d’ailleurs un contremaître. Il existait cependant des « ouvriers phalanstériens » ; les chefs de la doctrine les admettaient dans les banquets, mais Bourgin, qui donne ces détails dans son ouvrage sur Fourier, a raison de dire que ces ouvriers « ne dénaturaient pas le caractère bourgeois de l’école ».

Proudhon, qui vient d’écrire les Contradictions économiques, ouvrage qui le met hors de pair, n’a pour ainsi dire personne autour de lui. Cette « philosophie de la misère » écarterait plutôt de lui les socialistes d’alors, car il démolit avec une égale fureur le saint-simonisme, le fouriérisme, le communisme de Cabet et des révolutionnaires et le réformisme d’État de Louis Blanc, en même temps qu’il répudie les conclusions désespérantes des économistes libéraux qui trouvent que tout est bien dans la meilleure des sociétés.

Il ne montre encore que sa face négative, se refuse à toute affirmation dogmatique. Comment aurait-il un parti autour de lui ? Cependant, il songe à rallier la foule, puisqu’il cherche à fonder un journal quotidien qui s’appellera le Peuple. Entré en relation avec Marx en 1844 et avec Karl Grün un peu plus tard, il discute avec les deux proscrits allemands la philosophie hégélienne, qu’ils tentent de lui inculquer. Marx est communiste, mais la doctrine telle que l’exposent les partisans de Cabet et la Fédération communiste allemande ne peut recevoir son adhésion. Il sent qu’il manque à cette doctrine trop simple un fondement économique.

« Cherchons ensemble, si vous voulez, les lois de la société », écrit Proudhon en 1846, à Marx, qui a été expulsé de France par Guizot et s’est réfugié à Bruxelles ; « mais, pour Dieu ! après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons point à notre tour à endoctriner le peuple… Ne taillons pas au genre humain une nouvelle besogne pour de nouveaux gâchis… ne nous posons pas en apôtres d’une nouvelle religion, fût-elle la religion de la logique, la religion de la raison. Accueillons, encourageons toutes les protestations ; flétrissons toutes