Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/569

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des leçons de Marx et de Grün, et il avait annoncé à Marx cet ouvrage en lui disant : « J’attends votre férule critique. » Marx répondit, il l’avoue lui-même, en ces termes, « et de telle façon que notre amitié prit fin immédiatement et pour toujours », par un livre : la Misère de la Philosophie, qui est en réalité le piano sur lequel Marx essaie les gammes qui vont être, quelques mois après, le Manifeste communiste et, quelques années plus tard, le Capital.

Sur ce piano, dont chaque touche est une des thèses soutenues par Proudhon, Karl Marx tape furieusement, avec une verve ironique et désordonnée. Proudhon, si prompt à la polémique, qui avait si peu épargné ceux-mêmes qui ne lui disaient rien, et se plaignait de ne point recevoir de coups, écrivit à son éditeur Guillaumin en lui accusant réception d’un envoi de livres : « J’ai reçu en même temps le libelle d’un docteur Marx, les Misères de la Philosophie, en réponse à la Philosophie de la Misère. C’est un tissu de grossièretés, de calomnies, de falsifications, de plagiats. »

Il ne répondit pas au « libelle » du « docteur Marx ». Celui-ci venait de quitter Bruxelles avec son collaborateur et inséparable ami Frédéric Engels. Tous deux s’occupaient activement à organiser le congrès communiste qui devait se tenir à la fin de novembre 1847, afin de continuer une tradition qu’en 1836 déjà, un socialiste anglais, Patrick Howell, avait essayé de fonder. Patrick Howell, un ami de jeunesse du musicien Wagner, qu’il avait connu à Dresde, entreprit, sur le modèle des associations politiques internationales qui s’étaient formées sous la Restauration et sous le régime de Juillet, une « Organisation internationale pour l’émancipation des classes laborieuses ». Mais son projet échoua. Nous avons vu cependant qu’il en était resté quelque chose, puisqu’une conférence internationale, composée en presque totalité de communistes réfugiés en Angleterre, s’était tenue à Londres en 1839.

En 1846, il y eut une nouvelle tentative d’organisation internationale. Il s’agissait de réunir les démocrates de toutes les nations qui donnaient le pas aux préoccupations sociales sur les préoccupations politiques, et faisaient servir l’action politique à la réalisation du socialisme. Cette organisation devait s’appeler le comité européen. Bruxelles était le siège de ce comité, qui ne fonctionna pas, et c’est sans doute à cette tentative que Marx voulait rallier Proudhon. Celui-ci, en effet, y devait représenter les socialistes français avec Mellinet, Imbert et Flocon. Karl Grün y représentait l’Allemagne, Ernest Jones les chartistes et Julien Harney les fraternal démocrates anglais.

Le congrès de 1847 fut surtout allemand. Il réorganisa la Fédération communiste, à laquelle s’incorporèrent les anciens adhérents de la Fédération des Justes fondée par Weitling, et dès lors à la devise : « Tous les hommes sont frères », qui avait été celle du communisme allemand, fut substitué l’appel qui termine le Manifeste communiste ; « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! » Ce congrès, en effet, avait adopté le manifeste rédigé par Marx et Engels, après des débats