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avait tenu. Sans doute accueillit-il avec plus d’attention les avis de son frère. Mais il était trop tard, et, d’ailleurs, il ne pouvait rien.

Cette année 1847 finit par un événement qui assurait la conquête matérielle de l’Algérie. Abd-el-Kader, pressé par les troupes du duc d’Aumale, s’était rendu, après avoir vainement tenté de conquérir le Maroc, tandis que Bugeaud entreprenait la conquête de la Grande-Kabylie. Le ministère fit grand bruit de cette reddition du plus dangereux adversaire armé de la France en Algérie. Il ne nous restait plus qu’à en conquérir les habitants. Il y a près de soixante ans que l’émir a déposé les armes, et cette conquête n’est pas encore achevée.


CHAPITRE XI

LA RÉVOLUTION


Cabet fonde la communauté icarienne en Amérique. — Derniers combats parlementaires. — Malgré les avertissements de leurs amis, Louis-Philippe et Guizot s’opposent à la réforme. — Le banquet du douzième arrondissement transformé en manifestation populaire. — Le gouvernement prend des mesures de répression. — Le peuple descend dans la rue : la manifestation du 22 février ; l’émeute du 23 ; la révolution du 24.


Le 5 janvier 1848, deux heures après son retour de Londres, où il était allé négocier l’acquisition des terrains d’Amérique sur lesquels devait s’édifier l’Icarie projetée, Cabet était arrêté chez lui, par mandat du juge d’instruction de Saint-Quentin, sous une inculpation d’escroquerie. Ainsi était qualifié par le gouvernement le plan d’émigration communiste auquel le groupe du Populaire s’était attaché.

Nous avons dit que l’idée de réaliser dans une communauté distincte l’idéal tracé par le Voyage en Icarie avait été lancée par Cabet au mois de mai 1847. « Allons en Icarie ! écrivait Cabet dans le Populaire. Puisqu’on nous persécute en France, puisqu’on nous refuse tout droit, toute liberté d’association, de réunion, de discussion et de propagande pacifique, allons chercher en Icarie notre dignité d’homme, nos droits de citoyens et la Liberté avec l’Égalité. »

Et, prévoyant les objections, Cabet ajoutait : « Nous ne partirons pas au hasard, mais avec un plan discuté, adopté à l’avance. Et pendant le temps nécessaire aux préparatifs du premier départ (probablement un an au moins), nous examinerons et nous discuterons toutes les questions, nous appellerons à notre aide toutes les lumières, tous les avis, toutes les expériences de tous les savants et de tous les amis de l’humanité. » Il s’agissait d’ailleurs d’essaimer, et non de rompre les attaches avec le sol natal : « En nous éloignant de la France, nous n’oublierons jamais qu’elle fut notre mère ».