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que le salaire est de 620 francs. La consommation du pain prélève donc 49 pour cent. Les ouvriers semblent donc être devenus plus malheureux. Mais il ne faut pas perdre de vue que Morogues a groupé ses chiffres pour tenter de prouver que le régime industriel moderne est socialement mauvais. Tout en se défendant d’être conservateur et féodal, il incarne la protestation de l’immobilisme agricole et l’oisiveté parasite du rentier contre les révolutions du progrès industriel et les rafles du capital avide de se grossir et de se reproduire par l’exploitation du travail.



CHAPITRE VI


SERVITUDE ET MISÈRE DU PROLÉTARIAT


Le prétendu bien-être du prolétariat agricole et les aveux des écrivains féodaux. — Pourquoi la manufacture attire les ouvriers des campagnes. — Situation des ouvriers de l’industrie. — L’ouvrière et l’ouvrier de cinq ans : effroyable mortalité infantile. — Visite aux taudis de Nantes et aux caves de Lille. — Dégénérescence de la race par le travail industriel. — La servitude du livret. — L’ivrognerie et la débauche, moyens d’exploitation capitaliste. — Le régime de juillet est un régime de classe.


La révolution de juillet survenant vers la fin de la crise économique de 1827, lui redonna, nous l’avons dit, un regain d’intensité. Nous allons voir le plus rapidement possible quel était, à ce moment de notre histoire sociale, la situation des travailleurs dans les diverses parties de la France. Prenons provisoirement pour guide Villeneuve-Bargemont. La passion féodale, très réelle en lui, ne l’aveugle pas sur les faits, et il est animé d’une profonde pitié pour les maux de la classe ouvrière.

Dans le Nord, les classes ouvrières, livrées de bonne heure à l’industrie manufacturière, croupissent dans l’ignorance ; tout ressort physique et moral semble brisé en elles. L’ouvrier, dans cette région, n’est considéré par le patron que comme un instrument mécanique. L’agriculture est devenu une dépendance de l’industrie manufacturière, à l’imitation de ce qui s’est fait en Angleterre, et la culture des plantes oléagineuses s’est développée au point de nuire sérieusement à la production des céréales. « Un tel système d’industrie et d’agriculture, conclut Villeneuve-Bargemont, tend sans cesse, d’une part, à accroître la population manufacturière, de l’autre, à abaisser le taux des salaires, à concentrer les capitaux et les bénéfices de l’industrie et à amener ainsi tous les éléments généraux du paupérisme. »

Les régions de l’Est sont, au dire de Villeneuve-Bargemont, un véritable