Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de temps plus libres furent accusés d’être affiliés à la société de la Marianne, si redoutée depuis 1850, ou à la Charbonnerie, dont le souvenir hantait les policiers de l’ancien carbonaro, parvenu au pouvoir.

Par contre, ce furent de véritables conspirateurs que les frères Jacquin, Dhénnin ou leurs amis qui, la même année, projetèrent de faire sauter le train impérial entre Pérenchies et Lambersart, sur la ligne de Lille à Tournai, et furent condamnés de ce chef.

En 1855, l’attentat de Pianori et l’attentat même du maniaque cordonnier Bellemare ne semblent pouvoir être mis au compte du parti. Mais de nouvelles poursuites, à Paris contre la Marianne, à Lyon contre les Voraces, attestèrent la persistance des projets républicains.

Cette même année, 1855, dans la nuit du 26 au 27 août, une émeute, la seule importante de ces années-là, éclata, en province, à Angers. Les ouvriers des ardoisières de Trélazé, membres de la Marianne, marchèrent sur Angers et furent dispersés par les troupes. Ces ardoisiers avaient été l’objet d’une propagande active qui, comme la propagande de Boichot, s’inspirait surtout des événements de Crimée. Des manifestes leur avaient annoncé que l’armée alliée serait battue à Sébastopol, qu’elle serait décimée par la faim et le choléra, et que la République serait proclamée à Paris. C’était pour proclamer le gouvernement révolutionnaire, « pour aider à renouveler la loi », comme disait l’un d’eux, qu’ils s’étaient portés sur Angers. Et un autre, Pasquier, se déclarait « toujours prêt à prendre les armes pour son parti ». Ils furent condamnés ; et jusqu’au début de 1856, des poursuites eurent lieu dans toute la France, contre les membres supposés ou réels de la Marianne, à Nantes, à Tours, à Orléans, à Angers, à Paris. Ces poursuites attestaient que les masses républicaines demeuraient fidèles à leurs idées, qu’en dépit de toutes les mesures de compression policière, le parti agirait. Comme l’écrivait en 1855, le ministre de la Justice, « le parti démocratique était toujours contenu plutôt que corrigé ».

Mais que pouvait-il décidément contre le souverain appuyé sur l’armée, contre le prince heureux, auquel souriait la fortune ? Ses invectives au brigand de décembre étaient étouffées dans le bruit des triomphes de 1856. L’Europe entière rendait hommage à l’Empereur : les attentats, les conspirations étaient-ils bien des moyens propres à faire comprendre la grandeur, la justice de la cause républicaine, propres à la faire aimer et soutenir ?

Le parti, cependant, était impatient de manifester sinon sa force, au moins toujours, son existence. Le corps législatif devait être renouvelé en 1857. Des élections allaient avoir lieu. Qu’allait-on faire ?

*
* *


Depuis 1852, de nombreux membres du parti recommandaient l’abstention. Aux élections municipales et départementales elle avait été pratiquée.