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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/122

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avec des majorités considérables : Cavaignac, Carnot, Goudchaux ; puis Émile Ollivier et Darimon au scrutin de ballottage. En province, il était difficile de résister à l’écrasante pression administrative. Dans quelques grandes villes, cependant, les groupes républicains avaient mené la bataille. Lyon avait nommé Hénon, comme en 1852, et un second candidat démocrate, Bacot, n’avait échoué que de quelques suffrages. Bordeaux avait élu Curé, considéré alors comme républicain. Un grand nombre de villes s’était associées à cette manifestation, dans les coins de France les plus opposés : dans la Marne, la Meurthe, le Lot, le général Cavaignac, dont le nom, en dépit de Juin, « signifiait clairement République » avait obtenu des milliers de voix. À Avignon, il avait eu la majorité. Emmanuel Arago et Pagès (de l’Ariége) avaient eu également la majorité dans Toulouse. Dans l’Aube, la Côte-d’Or, la Loire, l’Eure, la Dordogne, l’Hérault, l’Indre, la Charente, l’Orne, l’opposition avait réuni des minorités respectables. Mais le vote quasi unanime des campagnes, menées au scrutin par les préfets, assurait encore au gouvernement une majorité considérable.

Cette affirmation éclatante de la fidélité à la République (car ce n’était point une renaissance, aucune propagande nouvelle n’ayant pu amener un nouveau groupement), surprit le gouvernement. Elle surprit même quelques républicains qui s’étaient laissé prendre aux apparences du 2 décembre, et avaient cru un instant que la masse ouvrière était gagnée à l’Empire. Le gouvernement songea même, dit-on, à ne plus renouveler la Chambre que partiellement, tous les cinq ans.

Suivant les engagements qu’ils avaient pris, Carnot et Goudchaux écrivirent une lettre publique pour refuser le serment : ils furent déclarés démissionnaires (nov. 1857). Cavaignac était mort avant l’ouverture du Corps législatif.

Hénon prêta serment en déclarant qu’il se conformait ainsi à la volonté de ses électeurs. Les trois autres, Émile Ollivier, Darimon, Curé prêtèrent serment, sans rien manifester. Leur serment avait quelque authenticité : quelques mois plus tard, Curé se ralliait à l’Empire ; les deux autres mirent plus de temps ; mais leur trahison n’en eut que plus d’éclat.

Émile Ollivier, Darimon, Hénon ; ce n’étaient point ces trois hommes, qui, à eux seuls, allaient ébranler tout l’édifice impérial. L’opinion publique s’était intéressée quelque temps à leur élection, à leurs premiers gestes : le train-train de la vie quotidienne reprenait. Les fêtes suffisaient toujours à distraire les boutiquiers, les grands travaux à occuper les masses ouvrières, et les coups de Bourse satisfaisaient la féodalité financière. Pour que le parti républicain recommençât à jouer un rôle historique, il fallait qu’il apparût de nouveau comme le représentant d’une tradition, comme le dépositaire d’idées, que les événements rappelaient au premier plan. Pendant ces années de gloire impériale, de 1852 à 1857. il avait vécu, et c’était beaucoup. Vie artificielle, vie volontaire, comme celle du malade qu’on suralimente,