Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/166

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bien se trouver encore dans le pays des hommes uniquement fidèles aux souvenirs du passe, ou trop absorbes par les espérances de l’avenir, mais le plus grand nombre approuverait avec ardeur. Et quant à moi, qui suis républicain, j’admirerais, j’appuierais et mon appui serait d’autant plus efficace qu’il serait complètement désintéressé ». La trahison était flagrante : il fallait la faiblesse du parti républicain d’alors pour qu’elle ne fût pas plus violemment soulignée. Morny, se chargea, lui, de la souligner en supprimant au procès-verbal, le « moi qui suis républicain ». Émile Ollivier ne protesta pas. « C’était la vérité », comme il aime à dire ! Il n’était plus républicain que de nom.

Heureusement, autour des Cinq, ou à côté d’eux, tout un nouveau parti se reconstituait.

Depuis 1859, bien des proscrits étaient rentrés ; et si les plus célèbres, ceux qui avaient le plus d’autorité auprès du peuple, si Ledru, Quinet, Louis Blanc, Hugo demeuraient en exil ; si, d’autre part, ceux qui rentraient, sentaient souvent « qu’ils ne parlaient plus la langue nationale » et s’accommodaient difficilement aux nouvelles conditions de lutte, leurs souvenirs, au moins, étaient écoutés ; et la persévérance de leurs convictions animait la haine des jeunes. Sans doute, ils étaient « idéalistes » et phraseurs ; sans doute, ils étaient religiosâtres, mystiques à leur manière, dédaigneux des réalités, et lorsque les jeunes étudiaient le passé, le passé tout récent, dont ils supportaient les lourdes conséquences, ils s’indignaient de toutes les bêtises commises ; et le mépris des réalités, la confiance aux « sentinelles invisibles », l’ignorance absolue des questions de tactique, d’organisation, qu’ils notaient chez leurs aînés, les révoltait. Mais il leur pardonnait beaucoup, parce qu’ils avaient beaucoup souffert. Ils les fréquentaient, les écoutaient, et dans ces premières années, de 1859 à 1863, tous encore les respectaient. Chez Dréo, le gendre de Garnier-Pagès, chez Hérold, chez Ollivier même, les jeunes rencontraient les anciens, Carnot, Garnier-Pagès, Marie.

Au Corps législatif, ils allaient écouter les Cinq. L’Empire « libéral » avait accordé au public, dix-huit places. Elles étaient constamment occupées par les mêmes jeunes amis des Cinq : on les appelait les « auditeurs au Corps législatif ». De leur nom, ils s’appelaient Floquet, Clamageran, Laurier, Ferry, Gambetta.

Les historiens de la Troisième République ont popularisé la jeunesse de leurs grands hommes. On a presque une hagiographie gambettiste. Gambetta au Procope, débraillé et fougueux, reprenant les débats du Corps législatif, et tenant sous le charme les camarades qui l’entourent ! Le tableau est classique.

Nous aimons mieux rappeler que le jeune avocat de Cahors, tout en se formant à la vie parlementaire et en demeurant avant tout le grand rapporteur des débats du Corps législatif, à la conférence Molé, était, dès alors, constamment préoccupé du problème social. Dans sa jeunesse, il s’était