Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/176

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la presse, parce que leurs feuilles, affiliées au Palais-Royal exerçaient à Paris une vraie dictature de l’opinion de gauche ; et si une vigoureuse campagne de la Presse et du Temps, alors aussi habile qu’indépendant, les contraignit à observer quelque convenance, à ne pas poser leurs candidatures contre un des Cinq, par exemple, il fallut cependant leur tailler leur part. On vit ensuite les discussions des Comités, les efforts des hommes de 48, de Carnot, de Garnier-Pagès, de Marie pour soustraire le parti à l’autorité des Cinq. On vit Carnot convoquer chez lui les délégués de tous les groupes républicains, leur demander d’élire un comité de vingt-cinq membres, puis démissionner parce qu’il avait été élu seul, sans Garnier-Pagès, sans Marie, et lâchant les démocrates, les ouvriers qui avaient contribué à ce vote, former « dictatorialement » un Comité consultatif, où les enfants de chœur des Cinq, Ferry, Durier, Clamageran, Floquet, Hérold, tous les jeunes auteurs du Manuel électoral, s’unirent aux anciens pour apprendre aux masses comment on fait des élections.

Mais, comme le dit Pessard, « tout s’arrange dans le monde, tout se tasse, même les candidatures ». Et les candidatures de 1863 finirent aussi par se tasser. Les Cinq furent tous reportés comme candidats ; on livra deux circonscriptions à Havin et à Guéroult ; Eugène Pelletan et Jules Simon complétèrent la liste avec Thiers. Restait à faire avaler cette candidature aux démocrates parisiens. Les efforts d’Émile Ollivîer et consorts n’y auraient peut-être point réussi. M. de Persigny, heureusement, jugea bon d’intervenir, de déclarer dans une circulaire fameusement inopportune que, malgré ses travaux d’ « historien national », « Thiers était un ennemi déclaré de l’Empire et de l’Empereur ». Il n’en fallait pas plus : dans la masse parisienne, c’était encore la haine du régime impérial qui dominait. Le nom de Thiers disait donc, lui aussi, opposition ! Comme l’a dit spirituellement M. Émile Ollivier, « le gouvernement ne voulant pas de Thiers, les ouvriers commencèrent à en vouloir ». Pour faire échec au massacreur de décembre, ils se résignèrent à voter pour celui de 1834 : et le Comité républicain de la Butte-des-Moulins vint solennellement le lui déclarer.

Le succès à Paris fut complet : les votes du 31 mai et du 1er juin donnèrent la victoire à l’opposition. Jules Favre, Émile Ollivier, Darimon, Picard, Havin, Jules Simon, Pelletan et Thiers furent élus au premier tour, et l’élection de Guéroult était assurée pour le ballottage.

Dans les départements, le succès avait été moindre : les moyens des candidats officiels demeuraient là plus efficaces. Places ou promesses de places, révocations ou avancements, routes, chemins de fer, subventions, le gouvernement n’était point chiche d’interventions de toutes sortes pour démontrer l’utilité d’un bon vote : et quand tout cela ne suffisait point, il savait frapper l’adversaire. Ce fut ainsi qu’en dépit de l’appel de sept évêques qui avaient invité tous les catholiques à voter, plusieurs des cléricaux, hostiles au gouvernement, furent vaincus et Keller tout le premier ; ce fut ainsi que les anciens