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c’était son propre ministère qui, naguère, avait proposé cette mutilation du suffrage universel. Au milieu des bruits, habilement entretenus, de complot royaliste, la proposition des questeurs « avait, comme disait Magnan, donné barre » à l’Élysée contre la majorité de l’Assemblée. Et d’autre part, le fait même que la proposition avait été repoussée avait contribué à apaiser la crainte d’un coup d’État qui tourmentait l’opinion. L’ancien carbonaro qui, selon la très juste expression de M. Tchernoff, avait organisé « une société secrète au sommet de l’État » allait pouvoir tenter son coup.

Donc, dans la nuit du 1er au 2 décembre une compagnie de gendarmerie mobile occupa l’Imprimerie nationale. Sous la surveillance de deux agents de police, les typographes, premiers auteurs involontaires de la violation de la loi, durent imprimer les proclamations. Cependant, M. Vieyra, avait fait crever les tambours de la garde nationale. Et M. de Maupas, avec ses quarante commissaires, unanimement dédaigneux de la constitution, lançait des mandats d’arrêt.

Au matin, le palais de l’Assemblée était occupé. 25.000 hommes d’infanterie, 6.000 cavaliers ou artilleurs prenaient position entre la Chambre et l’Élysée. M. Baze, questeur de l’Assemblée, le général Changarnier, le général Bedeau, le général Lamoricière, le général Cavaignac, M. Thiers étaient arrêtés avant le jour. Arrêtés également les représentants républicains : Charras, Greppo, l’honnête et brave ouvrier lyonnais, qui seul, naguère, avait voté avec Proudhon ; Valentin, le lieutenant ; Martin Nadaud, le maçon, représentant de la Creuse ; Beaune ; Cholat ; Lagrange ; Miot ; Roger (du Nord). Arrêtés enfin les hommes du peuple connus pour leur ardeur républicaine, les militants, redoutés « comme chefs de barricades ». Il y en eut soixante-dix-huit qu’on conduisit à Mazas. La besogne policière était terminée le 2, à sept heures du matin.

À la même heure, les afficheurs de la préfecture de police avaient fini de placarder, sur tous les murs de Paris, les pièces qui annonçaient le coup d’État[1].

D’abord un décret, déclarant l’assemblée nationale dissoute, le suffrage universel rétabli, la loi du 31 mars abrogée, et convoquant le peuple français dans ses comices, du 14 décembre au 21. Ensuite une proclamation du président de la République, un appel au peuple.

Il faut analyser cet appel. S’il est vrai que Louis-Napoléon ait eu du coup d’État, une conception, à lui, une conception que les événements ou les passions des diverses classes l’ont contraint de déformer ou dépasser, c’est dans l’appel, rédigé avant même qu’il ne connût toutes les conséquences de son coup, qu’il faut chercher cette conception.

Le président justifie d’abord la dissolution de l’Assemblée. « L’Assemblée,

  1. G. Renard. Histoire Socialiste, La Deuxième République, page 219 et suiv.