Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/248

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Le rédacteur de l’Opinion usa d’un truc assez vil. Le 11 mars, juste deux jours après la circulaire de Tolain, Chabaud qui semble décidément plus que jamais, l’homme à tout faire du Palais-Royal, posa sa candidature contre Tolain, dans la 5e circonscription. Le 13 mars, l’Opinion Nationale publiait son manifeste. Il y rappelait son refus d’accepter la candidature en mai 1863, et il arguait de la liberté des élections (c’est-à-dire de l’absence d’un comité directeur) pour céder « aux nouvelles offres » qui lui étaient faites. Surtout la suite de sa déclaration vaut d’être retenue : elle souligne le caractère de classe de la candidature Tolain. « Je ne chercherai pas, disait-il, à faire croire que l’entrée d’un nouveau député au Corps législatif aura pour résultat la solution immédiate de tous les grands problèmes sociaux et la jouissance de toutes les libertés. Je dirai seulement que là où l’on veut entretenir la haine et la discorde entre patrons et ouvriers par l’éloignement des deux parties (allusion aux chambres syndicales ouvrières), je veux qu’un rapprochement s’opère pour établir sur des bases solides l’union et la concorde indispensables au développement de l’industrie… En présence de ceux qui veulent un changement prompt et radical de notre organisation sociale, je veux que ces changements s’opèrent graduellement et sans secousse ». Ainsi, sans qu’un mot, un seul, du manifeste des soixante décelât une intention de déchaîner la guerre sociale, alors qu’au contraire les conceptions de Tolain, à les prendre à la lettre, semblaient tendre à la paix sociale, ses adversaires dénonçaient en lui déjà le candidat de classe et le révolutionnaire. Sous la lettre, les ennemis clairvoyants devinaient l’esprit.

Mais à quoi tendait donc la candidature de Chabaud ? — Attendons trois jours, et nous comprenons : le 13 mars, Guéroult, dans l’article important où il examine les candidatures en présence, lâche Tolain avec une maestria étonnante. Il faut citer encore et textuellement ce passage du journaliste démocrate. Il faut qu’on sache avec quelle basse hypocrisie la première candidature de classe fut évincée par la bourgeoisie. Savourons le texte de Guéroult : « Ce qu’on avait prévu, dit-il, ne s’est que trop réalisé. Les ouvriers se sont divisés. Au manifeste a répondu un contre-manifeste. Les ouvriers qui se rattachent aux traditions du Luxembourg ont fait opposition aux délégués de Londres. Que dis-je ? les délégués de Londres eux-mêmes ne se sont pas entendus, et la candidature de M. Chabaud est venu faire échec à celle de M. Tolain. Puis, comme si ce n’était pas assez de cette guerre fratricide, ces ouvriers qui auraient dû conserver a la candidature par eux choisie son caractère exclusivement économique et social, et éviter toute compromission politique, ont eu la malheureuse idée de demander ou d’accepter un patronage politique qui leur attirait des inimitiés et des suspicions, sans leur donner aucune force. Dès lors, la partie était perdue ; il ne fallait plus songer à M. Tolain ». Guéroult… oublie que la candidature de diversion n’a été posée que deux jours après la circulaire de Tolain et de ses démocrates ; mais il oublie sans doute aussi que les candidats républicains, quelques mois plus tôt, auraient