Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/254

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mais à l’association. La loi même de 1884 n’a fait en quelque sorte elle aussi que déplacer l’arbitraire. La coalition est légale, le syndicat est légal : mais il reste encore la violation de la liberté du travail. Et qui dira où commence cette violation ?

En mai 1864, en tous cas, les militants parisiens étaient déjà trop avertis pour se laisser prendre aux apparentes concessions de l’Empire.

Laissant le gouvernement à sa politique mesquine, et dédaignant les quelques ouvriers qui demeuraient à la dévotion du Palais-Royal, sans découragement, sans lassitude, confiants dans leur force nouvelle, ils cherchaient désormais d’un autre côté la voie de leur émancipation.

Lors de la délégation à Londres, nous l’avons vu, des relations avaient été établies entre ouvriers anglais et ouvriers français. Depuis la fin de 1862, elles n’avaient jamais été interrompues. Au premier moment, lors de la venue des français, les trade-unionistes ne semblaient pas avoir perçu l’importance du mouvement, le comité de réception n’avait pas été pris parmi eux. Mais on y remarquait des membres de l’ancienne alliance des Communistes ; et les relations de ces réfugiés, avec les Unionistes, devaient peu à peu gagner ces derniers à l’idée de relations ouvrières internationales. Juste a ce moment, d’ailleurs, les Unions anglaises adoptaient une nouvelle tactique. Elles avaient alors à leur tête des hommes remarquables, comme William Allan. le secrétaire général de la Société amalgamée des mécaniciens, l’infatigable, patient et méticuleux administrateur, ou Robert Applegarth, l’administrateur de la nouvelle société des charpentiers, le militant d’esprit alerte, ouvert et conciliant, qui. soucieux d’assurer au trade-unionismes une situation sociale et politique reconnue par la loi, l’entraînait à manifester sa puissance dans tous les domaines politiques et sociaux ; auprès d’eux encore, Georges Odger, l’orateur brillant, l’idole des radicaux de Londres, qui, en attirant les foules, donnait au nouveau mouvement des troupes toujours plus nombreuses. « Pour la première fois dans le siècle, remarquent Béatrice et Sidney Webb, dans leur Histoire du trade-unionisme page 251 de la traduction française, le mouvement ouvrier passa sous la direction non plus d’amis appartenant aux classes moyennes ou supérieures, tel que Place ou Owen, mais de purs ouvriers formés spécialement pour cette position ». Le fait vaut d’être marqué dans sa généralité : le mouvement français, au même temps, avait exactement le même caractère.

Or, ces chefs syndicalistes, qui devaient former plus tard la Junta et qui se retrouvaient déjà dans le Trades-Council, c’est-à-dire dans l’Union des syndicats de Londres, récemment fondée, se préoccupaient d’étendre l’horizon un peu étroit du vieil Unionisme, et de passionner les ouvriers anglais pour ces problèmes de politique générale, auxquels ils étaient demeurés jusqu’alors indifférents. Par là, espéraient-ils, ils conquerraient pour leur classe une égalité sociale, qu’elle n’avait pas encore, et ils l’affranchiraient plus sûrement que par des grèves, par des luttes limitées à des relèvements de