plus de la guerre, et on ne peut plus la faire sans leur assentiment ; c’est même pour cette raison que M. de Bismarck a tardé de lancer son ultimatum. Qu’ils affirment donc plus haut leur volonté. « Il suffit de se croiser les bras, de faire la sourde oreille et de rester immobile. Pour faire la guerre, il faut des hommes et de l’argent, des levées extraordinaires et des emprunts. Eh bien ! qu’on ne donne ni hommes, ni argent ».
Au nom de quels principes, en effet, au nom de quelles idées, des hommes vont-ils marcher les uns contre les autres ? Dans une adresse publiée par le Courrier Français le 20 mai et par la Rive Gauche le 27, les étudiants de Paris supplient les étudiants d’Allemagne et d’Italie de ne pas s’armer les uns contre les autres, de ne pas acclamer la guerre, de ne pas oublier qu’ils ont tous au cœur la même haine, celle de l’oppression, qu’ils ont tous une œuvre commune à accomplir, l’œuvre de liberté et de justice, qui nécessite l’union de tous les efforts. « Frères, s’écrient-ils, vous êtes les dupes d’une vieille politique absurde autant qu’odieuse qui, depuis des milliers d’années, pousse les peuples à s’entrégorger sous de sots prétextes d’intérêt national et de différence de races ». Nationalités, patries, etc... tout cela n’est que vains mots. Les peuples peuvent-ils donc s’entre-tuer pour des mots ?
Qu’est-ce que la patrie ? se demande le 10 juin, dans le Courrier Français, l’un des signataires de l’adresse, Albert Fermé. Il montre à l’intérieur des prétendues patries, les deux classes aux prises, les opprimés et les oppresseurs, les exploités et les exploiteurs ; il cite et commente le passage célèbre de Voltaire, sur le marmiton qui n’a rien et se passionne « pour sa patrie », et liant indissolublement le socialisme et la négation de la patrie actuelle, il constate que « le socialisme ne date pas de 1848, qu’il ne date pas non plus de Voltaire, qu’il est aussi ancien que le bon sens et la conscience humaine ».
« Quand donc, concluait-il, en finirons-nous avec ces mots mystiques, absurdes, fléaux de l’humanité ?
« Je veux ceci : être indépendant, et que mon travail me rapporte ce qu’il vaut réellement. — Et ce que je veux pour moi, je le veux également pour les autres. — Passé cela je ne comprends rien. La Pologne ! la Vénétie ! le Scheswig-Holstein ! duperies, mystifications, questions mal posées ! » Si les habitants de ces pays sont misérables, Fermé est avec eux contre leurs oppresseurs. Hors de là, peu importe quels sont les oppresseurs. Mais cet « anti-patriote » prévoit le moment où le mot patrie prendra un sens nouveau, lorsque les peuples seront libres, associés dans les communes et dans les fédérations, lorsque patrie voudra dire souveraineté.
L’article de Fermé fut déféré aux tribunaux ; et, malgré l’autorité de Voltaire dont il se couvrait, son auteur recueillit six mois de prison.
Mais pendant près de trois mois, en mai, en juin, en juillet, dans les deux journaux frères, chaque semaine, la campagne se poursuivit : les secrétaires de rédaction zélés recueillaient dans les journaux tous les symptômes du mouvement