Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le journal dirigé par Pelletan et auquel collaboraient Lavertujon, Glais-Bizoin, Cluseret, Naquet, Claretie ; la Revue politique, dirigée par Challemel-Lacour, et qui, comme la Revue encyclopédique, au début du règne de Louis-Philippe, prétendait indiquer au futur parti de gouvernement qu’était le parti républicain, les lignes générales d’une organisation politique et sociale, conforme à ses principes ; la Démocratie, fondée par Chassin, et qui dans le dessein de ranimer la tradition, toute la tradition républicaine, invitait à collaborer Louis Blanc et Quinet, Cantagrel et Naquet, Chemalé et Félix Pyat.

Mais deux journaux surtout se firent remarquer : l’Électeur et le Réveil. Tous deux hebdomadaires, ils représentaient les deux grandes nuances du parti républicain. Ernest Picard, le député modéré, le futur organisateur de la gauche ouverte, avait fondé le premier. C’était Delescluze, le vieux révolutionnaire ombrageux, revenu de Cayenne à Paris et tout prêt à subir de nouvelles persécutions, qui dirigeait le second. L’Électeur se proposait de conquérir les institutions qui sont la condition de la liberté et, dans ce but, d’évincer tous les candidats officiels, « de faire pénétrer les candidatures indépendantes jusque dans les villages les plus reculés ». La haute conscience de Delescluze exigeait plus : par sa grandeur morale, par sa pureté, le parti républicain devait, pensait-il, s’imposer au pays, l’entraîner avec lui, et sans l’aide des orléanistes ni des légimistes, vaincre au nom du suffrage universel. Alors, mais alors seulement, déclarait le Réveil, les questions sociales pourront être résolues : elles ne pouvaient l’être, selon lui, que par la liberté politique.

Par ces journaux, le peuple républicain s’accoutumait de nouveau à lire, à discuter, à penser. L’Électeur, il est vrai ne tirait qu’à 900 exemplaires, et la Tribune à 2.500 ; mais le Réveil tirait à 12.000, et il lui arrivait de ne pouvoir répondre à plus de 2.000 demandes (Tchernoff, loc. cit., p. 512)

Un pamphlet périodique les éclipsa tous. Dès le 30 mai, Henri de Rochefort avait lancé la Lanterne. Les traits, les jeux de mots, les insolences du spirituel polémiste avaient eu dès le premier jour un succès énorme, et qui s’accroissait de numéro en numéro. Au bout de quelques semaines, le gouvernement sévit. Trop tard encore : de Bruxelles, où ses amis avaient fait filer Rochefort (en août) les 50.000 exemplaires de la Lanterne pénétraient en France et les investigations policières n’empêchaient point les Français d’apprendre presque par cœur les railleries décochées à l’Empereur ou à la famille impériale. Aux Tuileries, ce fut du désarroi.

Désormais la bataille, une bataille acharnée, était engagée entre le pouvoir et l’opinion ; quelques vieux, comme Ledru et comme George Sand, pouvaient regretter et s’inquiéter qu’elle eût été décidée par un pamphlet sans noblesse et par un écrivain sans conscience. En fait les railleries eurent