Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/350

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toutes les aspirations du peuple révolutionnaire ? Qui donc dérivera son effort vers un but précis et clair ? Ardemment, Blanqui travaille. De Bruxelles, où il réside depuis 1865, il vient souvent à Paris et il y demeure parfois quelques mois. Il s’appelle M. Baduel. Guidés par lui, à travers le Paris révolutionnaire qui renait et tressaille, ses amis, Granger, Eudes, Jaclard, Genton, Duval, recrutent la petite troupe qui, un jour, sur l’ordre venu du chef, fera le coup de main décisif. Ce sont les vieilles méthodes qu’ils reprennent ; les unités forment des dizaines, les dizaines des centaines, chacune sous son chef désigné. Un jour, ils seront 2.500. Mais Blanqui attend, temporise. On dirait presque que cette poussée nouvelle le déroute. Le gouvernement impérial est certainement plus ébranlé que la monarchie de juillet en 1839 ; il éprouve cependant le besoin de perfectionner encore sa méthode d’insurrection ; et ses retards mêmes lassent certains comme Jaclard. Quelques mois plus tard, le 12 janvier 1870, quand les masses parisiennes partiront à Neuilly pour l’enterrement de Victor Noir, « appuyé à un arbre des Champs-Elysées, debout dans la foule, le vieillard attentif verra surgir ses amis, réguliers dans la poussée du peuple, silencieux dans les murmures grossis à tout instant en clameurs. Il verra défiler sa petite armée, mais il attendra en vain le retour ». C’est seulement plus tard, la guerre commencée, le 14 avril 1870, que dans le faubourg stupéfait, Blanqui tentera son coup contre la caserne de la Villette. (Cf. G. Geffroy, l’Enfermè, (264-287).

Admettons qu’il eût réussi ce jour-là ou plus tard : aurait-il trouvé dans le petit groupe, qu’il avait sous ses ordres, les éléments d’organisation nécessaire pour ce lendemain de révolution, dont il eut toujours cependant la claire préoccupation ? Qui sait si ce doute n’est pas la raison profonde de son hésitation ? Dès alors, en effet, les militants ouvriers le sentent vaguement : les transformations industrielles exigent désormais d’autres méthodes. Le suffrage universel, aussi, en réveillant les masses, rend certainement moins efficace le vieux système de conspiration. Des Blanquistes même ont essayé de le faire comprendre au Vieux : mais il en est resté finalement à son ancienne méthode.

Qui donc alors « créera la pente ? » qui donc « dérivera » le fleuve ? Des militants se trouveront-ils, pour dire à la foule révolutionnaire par quelles méthodes efficaces elle pourra satisfaire ses aspirations ?

Quelques mois auparavant, il y avait encore l’Internationale. En cette fin de 1868, Tolain, Chemalé paraissent bien encore dans les réunions publiques et soutiennent leurs idées proudhoniennes ; mais ils se résignent à l’effort individuel. A Rouen, la section fondée par Aubry se maintient péniblement. A Lyon, dans la ville où le combat des classes est toujours âpre, les groupes républicains ont tué la section, dès la fin de 66. Varlin, Malon, Landrin, toute l’énergique deuxième commission est à Sainte-Pélagie. Mais selon le vieux mot du Moyen-Age, « les plus mortes morts sont les meilleures ». La résurrection ne va point tarder.