Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/377

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de la gauche parlementaire. Ils notèrent en ce jour tout à la fois la déchéance de l’Empire et de la révolution bourgeoise.

Tout à fait significatives à cet égard sont deux lettres écrites alors par Benoit Malon à Albert Richard : « Il y a quinze jours, écrivait-il au moment de la reculade des députés, la date fatidique du 26 octobre nous apparaissait lumineuse ; aujourd’hui elle nous paraît moins brillante. Que s’est-il passé ? Tout simplement un fait capital dans l’histoire de l’humanité. La bourgeoisie vient de prononcer son irrévocable déchéance. Mise tout à coup en face d’une révolution imminente et portant le socialisme dans ses flancs, elle s’est rejetée en arrière dans un mouvement de terreur et par l’organe de l’Opinion nationale, de J. Simon à Saint-Etienne et du comité banceliste de Paris, à déclaré préférer l’Empire à un tel inconnu. Journaux libéraux, bourgeois influents, députés de l’opposition ont réussi, en unissant leur couardise, à creuser la désunion dans le parti démocratique et à changer un jour de victoire certaine en une journée douteuse. Après tout, va, ne nous en plaignons pas. Ces gens-là avaient encore une certaine influence ; ils viennent d’abdiquer. Désormais le peuple saura que c’est sur ses robustes épaules que tout repose et, comme il n’a jamais cessé d’être logique dans ses actes, il agira en conséquence, et si l’Empire y gagne quelques jours (chose douteuse), il ne reculera que pour mieux sauter. Mes nombreux amis st moi sommes décidés à faire le plus tôt possible, quoi qu’il arrive et coûte que coûte, tout notre devoir. La situation présente réclame des résolutions viriles et d’énergiques agissements ; ni l’un ni l’autre ne lui feront défaut. C’est tout ce que la discrétion de M. Vandal, le directeur des postes, me permet de te dire. Les réunions de Belleville, depuis les massacres d’Aubin et la furie policière du boulevard extérieur ont mis le comble à l’indignation générale, ont pris un aspect étrange. 4,000 hommes — combattants futurs — viennent chaque soir dans l’immense salle des Folies. Leur attitude est à la fois énergique, résolue et calme. Des bandes innombrables d’agents de police, de municipaux sont blottis dans les carrefours environnants. Deux escadrons de cavalerie campent ostensiblement dans la cour de la mairie, à côté. Quel gouvernement promena jamais autant l’étincelle sur la poudrière ? Du reste on voudrait, on provoque une émeute partielle, le peuple ne veut qu’une révolution et se conduit avec une sagesse qui doit donner beaucoup à réfléchir à ces donneurs de conseil. Ce sera pour le 26 ou non, mais la bataille est inévitable. »

La fin de la lettre indiquait que les socialistes à leur tour sentaient le danger de cette journée, annoncée si longtemps d’avance, et dans laquelle ils n’auraient point trouvé l’appui de ceux-là même qui en avaient fixé la date. Les socialistes, isolés, se refusèrent à faire le jeu de l’Empire. Mais la persistance même de leur agitation, après la reculade des libéraux, leur avait attesté leur force.

« Ton appréciation du 26 octobre, écrivait Malon à Richard vers le début