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Le 3 Février, une circulaire établit les commissions mixtes. Elles allaient achever de terroriser le pays.

La circulaire du 3 Février ne faisait que régulariser, pour produire plus rapidement la ruine républicaine, l’activité administrative des derniers mois. Depuis des mois, dans chaque grand centre, procureur, préfet et généra) collaboraient à l’anéantissement des rouges : la commission mixte les réunit officiellement. Ce tribunal de fonctionnaires jugea à huis clos, sans témoins ni défenseurs, sur de simples dénonciations et informations d’ordre administratif. Insurgés, affiliés, suspects, ou même ceux qui, simplement, avaient jeté un bulletin négatif au plébiscite furent frappés de transportation, d’expulsion, d’internement, d’éloignement, de mise en surveillance. Les documents officiels ont avoué 2.804 internés, 1.545 éloignés ou expulsés, 9.530 transportés en Algérie, 230 à Cayenne, et 5.450 soumis à la surveillance. Mais combien de malheureux ont été frappés par les conseils de guerre ou par les autres tribunaux. Et de quelles peines ont été frappés tous ceux qui, au bout d’un mois, délai de fonctionnement des commissions mixtes, n’avaient pu encore être jugés ?

Les décisions des commissions mixtes se trouvent aux Archives. Ce sont des pages sinistres. Georges Renard a déjà cité plus haut p. 224 de son volume) les documents publiés par M. Léon Guyon. Dans son livre sur le Parti républicain pendant le second Empire, M. Tchernoff en a publié d’autres, en particulier quelques décisions de la commission mixte du Cher. Il faut en reproduire ici, afin que le prolétariat se souvienne, afin qu’il sache comment les républicains, comment les socialistes furent alors frappés, et sous quels prétextes.

Cinquante-cinq artisans ou paysans du bourg de Meillant (arrondissement de Saint-Amand) avaient été désignés « comme hommes dangereux et très compromis par leurs menées et leur zèle pour la propagande ». Quelques aveux arrachés à des paysans intimidés suffirent à les faire poursuivre comme fauteurs de sociétés secrètes. Voici quelques-unes des décisions prises :

Piat, Jacques, porcelainier à Noirlac, 33 ans, marié, quatre enfants, ne sait ni lire ni écrire. Interrogé comme inculpé non arrêté. Affilié, décurie de Latte. Aveu. Très pauvre. Honnête jusque-là. Conduite privée irréprochable. A commencé cependant par mentir impudemment devant les magistrats : 5 ans, Lambessa.

Antoine Petit, dit Majot, journalier à Meillant, célibataire, ne sait ni lire ni écrire. Entendu comme témoin. Affilié décurie de Latte. Aveu. Sans volonté, presque idiot. Méchant néanmoins : 5 ans, Lambessa.

Velan, Jean-François, carrier à Meillant, 40 ans, marié, cinq enfants. Ne sait ni lire ni écrire. Entendu comme témoin. Affilié décurie de J… Aveu. Tres malheureux, ivrogne, bavard, sans méchanceté : 5 ans, Lambessa.

Deboisse, Roger, carrier à Meillant, 35 ans, marié, un enfant, ne sait ni