Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/56

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incapable d’être l’homme de La Révolution sociale. Il ne fallut pas longtemps au grand socialiste pour le reconnaître.

Comment d’ailleurs Louis-Napoléon aurait-il pu être cet homme ?

Comment celui qui essayait de tromper et de duper toutes les classes aurait-il pu inaugurer une œuvre qui aurait blessé autant d’intérêts ? Le dur réaliste qu’était Marx le notait bien, de son côté, en cette période même de la dictature, où s’essayait le nouveau régime. Il nous le montre en effet, dans les pages admirables qui terminent son Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, représentant véritable des petits paysans parcellaires, représentant prétendu de la classe ouvrière qu’il cherche à gagner, désireux d’améliorer dans l’ordre bourgeois la situation des classes inférieures, mais en même temps incapable de s’appuyer uniquement sur ces classes, ménageant encore cette classe moyenne dont il a ruiné la puissance politique, et livrant l’État, livrant les ressources de la nation à toute une féodalité financière, dont les intérêts s’opposent à ceux des classes exploitées. Loin de comprendre l’évolution historique, que Proudhon discerne, le chef de la société de souteneurs, qu’est la Société du 10 décembre, ne songe, lui, qu’à maintenir son pouvoir, qu’à faire de la France une immense clientèle napoléonienne. « Bonaparte, dit Marx, aurait voulu se poser comme le bienfaiteur patriarcal de toutes les classes ; mais il ne peut rien donner à l’une sans mécontenter l’autre. De même qu’à l’époque de la Fronde, on disait du duc de Guise qu’il était l’homme le plus obligeant de France, parce qu’il avait transformé tous ses biens en obligations que ses partisans avaient envers lui ; de même Bonaparte aurait voulu être l’homme le plus obligeant de France et convertir toute la propriété, tout le travail de la France en une obligation personnelle envers lui. Il aurait voulu voler toute la France pour pouvoir lui en faire cadeau après ».

C’est là, exprimée sous cette forme outrancière de polémique qui plaisait à Marx, la vraie caractéristique de toute la politique sociale du Second Empire. Au fond de tout, la préoccupation constante reparait : le désir de gouverner absolument et du consentement de tous, la volonté de gagner une à une toutes les classes, de les acheter toutes par des avantages matériels. Dans la politique incertaine, tâtonnante de la première période, ce sont déjà tous ces traits qui se dessinent.

Le 28 Mars 1852, la dictature termina sa tâche : l’état de siège fut partout levé. Le lendemain, les corps constitués se réunissaient. Théoriquement, c’était l’ère du nouveau régime.

Sénat, Conseil d’État, Corps législatif, nous avons dit les attributions de ces diverses assemblées. C’était le vieux Jérôme Bonaparte, l’ex-roi de Westphalie, qui présidait l’assemblée de princes, de cardinaux, de généraux, d’amiraux et de maréchaux appelée Sénat. L’ancien ministre du président de 1850, Baroche, l’accusateur des insurgés du 15 Mai devant la Haute-Cour de Bourges, l’accusateur des insurgés du 13 Juin devant la Haute-Cour de