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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/62

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les candidats de l’opposition. Les réunions électorales étaient interdites, comme portant atteinte à la liberté des électeurs. L’affichage était soumis à l’autorisation du préfet, qui pouvait naturellement la refuser. Enfin il n’était même pas permis de distribuer librement des bulletins, la Cour de Cassation ayant décidé qu’un bulletin devait être, comme un livre, soumis à la loi sur le colportage et astreint à l’obligation du dépôt. Les militants, qui osaient encore faire cette distribution, risquaient d’être poursuivis comme conservant « leurs anciennes manies révolutionnaires sous prétexte de colportage de bulletins ».

L’élection était dirigée par les maires. Or, depuis 1852, nous l’avons vu, c’était le gouvernement qui nommait tous les maires. Le scrutin durait deux jours ; dans les campagnes, le soir du premier jour, le maire emportait l’urne chez lui. Dans les villes, les ouvriers, connaissant les procédés administratifs, ne votaient que le second jour. Dans les villages où les paysans n’avaient point pris l’habitude d’aller voter, c’était le maire qui improvisait les résultats de l’élection. Ce ne pouvait être dans un sens défavorable au gouvernement qui l’avait nommé. L’échec de M. Migeon, ancien candidat officiel, abandonné par le gouvernement en 1857. amena un procès qui projeta quelque lumière sur les mœurs électorales de ce temps-là. Un maire faisant voter les électeurs dans la salle de cabaret où il vend des liquides, un zouave qui s’empare de l’urne, des enfants votant pour leurs pères et réciproquement, un sous-préfet dénonçant l’ancien candidat officiel comme « un mauvais domestique, qu’on chasse, sans avoir à lui donner de raisons », ce furent-là des traits suggestifs.

La géographie électorale complète le tableau. Les circonscriptions étaient définies non par une loi, mais par un simple règlement, fait tous les cinq ans, sans autre méthode que l’intérêt du gouvernement. On assemblait les cantons ou les arrondissements de la manière la plus favorable au candidat officiel. On coupait les villes en morceaux, et la réunion de ces divers morceaux à des cantons ruraux permettait de noyer les ouvriers républicains parmi les campagnards loyalistes.

On le voit, non-seulement les opposants, au Corps législatif, se trouvaient facilement réduits à l’impuissance ; mais il était douteux, avec les procédés électoraux en vigueur, qu’un opposant pût jamais arriver au Corps législatif. Il y avait encore en France une apparence de parlement, un parloir de gens « comme il faut » ; il n’y avait plus de vie parlementaire. Comme il l’avait dit, au lendemain du Coup d’État à l’ambassadeur autrichien, M. de Hubner, Napoléon III voulait bien être baptisé avec l’eau,du suffrage universel, mais il ne voulait point vivre les « pieds dans l’eau ». (De Hubner, Neuf ans de souvenirs, I, 53). Et le fin représentant du vieil État réactionnaire pouvait noter avec satisfaction « la ruine du parlementarisme » (p. 49).

Avec la liberté parlementaire, la liberté de la presse avait été elle aussi,